
En cette deuxième moitié du XVIIIe
siècle, si à la cour de Louis XV, le
siècle est «des lumières», le
Gévaudan (la Lozère actuelle) est une province pauvre et isolée aux landes
battues par les vents qui se caractérise par des sols ingrats, un climat
rigoureux, des voies de communication inexistantes ou en mauvais état, un pays
de petits bergers et de loups, mais aussi de paysans vivant dans une grande misère,
mais en quasi-autosuffisance avec l’élevage d’ovins et bovins, la
culture du seigle et de fourrage, les potagers, au cœur de la Lozère, où la
religion est omniprésente pour un peuple hanté les superstitions et la peur du
diable. Dans cette ruralité austère, les curés de campagne jouaient un rôle
essentiel en tenant les registres paroissiaux. C’est alors qu’une Bête répand la terreur, elle aurait
commis ses ravages dans le Dauphiné entre 1762-1763 avant de migrer vers
Langogne, elle serait des loups venus
d’Allemagne qui auraient pris goût à la chair humaine durant la guerre
de Sept ans en dévorant les cadavres,
puis en attaquant et en dévorant les blessés
dans les champs de bataille.

Au printemps 1764, une femme est attaquée près de Langogne, en
Gévaudan, par une «bête» que ses bœufs parviennent à mettre en fuite,
même si elle a attaquée des hommes avant. Le 30 juin 1764, une petite bergère, Jeanne Boulet est tuée et dévorée. Durant
l’été, les victimes s’allongent, ce sont
des enfants ou des jeunes gens, le plus souvent des filles. Il s'agit généralement
d'individus occupés à garder les troupeaux. Parmi ceux qui l’ont vue, personne
n’a reconnu un loup lors des
attaques mais pour autant il n’y a pas eu non plus de description
fantasmagorique donnée par les gens du
Gévaudan à l’époque, ils évoquaient une bête qui ressemble à un loup, mais avec une tête plus allongée, une
gueule énorme, une raie noire sur le dos. Ce qui les a étonnés, c’est qu’en
temps normal, le loup ne s’attaque
pas à l’homme. Il dévore des animaux de
la ferme, de jeunes agneaux, de jeunes veaux. Là, surprise, non
seulement, le loup continue à manger
du gibier et des animaux de basse-cour, mais il
s’attaque à des humains et notamment
à de jeunes enfants, qui étaient une
proie relativement facile. Cela s’explique parce que les enfants de cette
époque n’avaient pas la taille des enfants
d’aujourd’hui, ils étaient beaucoup plus petits. La Margeride était une région
de malnutrition. Ces enfants étaient chétifs, malingres, c’était une proie
toute désignée pour les loups anthropophages. Des battues sont organisées à
l’initiative de Lafont, subdélégué
de l’intendant du Languedoc, mobilisant des centaines, voire des milliers de paysans et de chasseurs, aux environs de Langogne,
dans la forêt de Mercoire, etc., mais la Bête
se moque des chasseurs, attaquant le soir des chasses, en dehors des zones de
battues. L’inefficacité répétée des autorités
qui avec plus ou moins de bonheur et de bonne volonté, elles tentent de se
coordonner pour courir sus aux agresseurs
et les neutraliser, mais leur insuccès chronique ajoute à la fabrication du
mythe de cette insaisissable Bête du
Gévaudan. Lafont propose aussi
l’armement des paysans et le
regroupement des pâturages pour éviter que les bergers ne fussent seuls. Bientôt l'animal féroce, pourchassé,
quitte les parages de Langogne, s'en va vers l'ouest. À partir de là (automne
1764), les ravages ne cessent de s'étendre : chaque mois ou presque, plusieurs personnes (enfants, adolescents, femmes et vieilles femmes) sont égorgées et
dévorées en Gévaudan et dans le sud de l'Auvergne. Une bête qui est partout et nulle part, qui tue puis se volatilise. On
convient même que l'assassin a sans doute des complices aussi étranges que lui;
on relève des traces bizarres, des types d'attaque inouïs, des malices
clairement intentionnelles. Les responsables
politiques locaux ne parvenant pas à mettre fin à ces attaques de jeunes filles, l’un d’eux s’est décidé à
écrire à Paris pour expliquer qu’un monstre s’attaquait à la population. De toute évidence, la bête n’existait pas, mais pour sauver
la face, les aristocrates ont exagéré
les choses, racontant que la bête
était énorme, qu’elle faisait trois mètres de long. Les paysans ont gobé cette histoire, cela les arrangeait aussi parce qu’ils
avaient besoin d’aide et voulaient de l’argent et des armes pour combattre la créature. En outre, l’actualité n’était
pas très riche à l’époque. Le royaume compte alors quelque 20 000 loups mais le
drame du Gévaudan intervient opportunément pour la presse, en mal de ventes après la guerre de Sept Ans. Ainsi,
le Courrier d'Avignon puis La Gazette de France et les gazettes internationales s'emparent de
l'affaire et, en quelques mois, publient en feuilleton des centaines d'articles
alimentant l’hystérie. La presse
colporte volontiers les ragots, articles et illustrations sensationnalistes, à
une époque où l’actualité est creuse. Les imagiers
les plus inventifs firent découvrir son image le plus souvent fantasmée, et les
courriers iconoclastes de M. Labarthe ne viennent rien arranger. L’opinion publique découvre qu’il y a une
province qui s’appelle le Gévaudan.

Après douze attaques, des dragons mené par le capitaine Duhamel envoyés par De Moncan, gouverneur du Languedoc, sont
lancés à la poursuite de l'animal féroce
à partir d’octobre 1764, mais le traumatisme fait tache d'huile, la rumeur
renforce l'horreur. Dépassant rapidement le fait divers, la Bête du Gévaudan donne naissance à
toutes sortes de rumeurs et croyances à l'époque, tant sur sa nature — perçue
tour à tour par les contemporains comme un loup, un animal exotique, un «sorcier» capable de charmer les balles,
voire un loup-garou — que sur les
raisons qui la poussent à s'attaquer aux populations,
en novembre, elle aurait déjà dévoré une vingtaine
d’enfants «avec une préférence pour
les fillettes», et les bûcherons
n’osent plus entrer dans la forêt, si bien que le prix du bois a augmenté, après
une battue massive, le 22 décembre, rien ne semble pouvoir l’arrêter, pas même
les balles des soldats, l'évêque de
Mende, monseigneur Choiseul-Beaupré énonce
alors un «châtiment divin» le 31
décembre 1764 dans son mandement
à l’époque des philosophes qui ont
détourné les ouailles de Dieu, et l’évêque se donne aussi pour mission de mettre en œuvre un catholicisme «de combat», en raison de la présence marquée du protestantisme cévenol dans son diocèse de Mende. Dès l'hiver 1764-65,
la Bête sévit dans les limites des
départements de la Lozère, du Cantal et de la Haute-Loire, englobant les
secteurs de Saint-Flour, Saugues et Marvejols. Elle demeure plus ou moins dans
ce périmètre jusqu'à sa disparition. La violence des blessures marque les esprits
et provoque l'effroi. Les morsures sont impressionnantes, les habits
déchiquetés, les membres arrachés et les têtes parfois décapitées. Toutefois,
l'animal s'introduit dans les
villages, allant même jusqu'à porter ses agressions dans les cours des habitations.
Autre fait marquant, les agressions sont courantes, répétitives; les autorités allant même jusqu'à en
signaler plusieurs sur une même journée. La plupart du temps, les victimes succombent, rares sont celles
qui survivent. Les gens ne disposent
que de moyens rudimentaires pour se défendre, surtout les enfants. Ceux qui parviennent à échapper à la mort ont été le plus
souvent secourus à temps ou sont armés d'objets plus efficaces comme des
fourches ou des petites baïonnettes. Les esprits
sont troublés par cette créature
dont on ne réussit pas à définir véritablement l'identité, qui s'attaque aux
populations sans aucune crainte et avec sauvagerie, et surtout qu'on ne
parvient pas à tuer. Quelques individus,
abrités par les ravages d'un monstre authentique, ajoutèrent-il à ses forfaits
d'autres crimes entachés de sadisme ou se livrèrent à des plaisanteries de
mauvais goût. Face aux agressions, certains
réagissent de manière héroïque et parviennent parfois à blesser la "bête féroce" mais les coups
portés ne semblent être d'une quelconque efficacité, tel le jeune Portefaix, 12 ans, qui réussit à
chasser l’animal pour sauver un plus
petit que lui le 12 janvier 1765. Nombre de témoignages rapportent des
coups de fusils tirés dans sa direction sans pouvoir tuer l'animal. Duhamel qui donne un portrait extraordinaire de la Bête le 20 janvier pour expliquer ses
échecs, va se démener tant bien que mal jusqu’en mars 1765 organisant d’autres
battues gigantesques dont les plus importantes le 7 et 11 février, arme les paysans, pose des pièges et empoisonne
les cadavres de victimes (sachant
que les animaux reviennent souvent
finir les restes d'une proie) et déguise ses hommes en femme le 20 février, mais la liste des victimes ne cesse
de s’allonger et la bête s'adonne à
une véritable mise en scène, torture les chevreaux pour débusquer un berger qui arrive à la chasser, la
vieille des cadavres et même l’empoisonnement des corps n’ont pas plus de
succès, mais la population ne voit
pas d'un bon œil les dragons dans
leur région et doute de leur efficacité, tandis que la peur a gagné beaucoup d'esprits et Duhamel se plaint de la couardise des paysans, car «sa ruse étonne
si fort le paysan que c'est une opinion générale chez eux qu'il y a là dedans
quelque chose de surnaturel et souvent même il est entretenu dans cette idée
par gens lettrés en qui il a confiance», mais il s’est aussi froissé avec
des notables qui s’en sont plaint
aux autorités locales, l’inefficacité
de ses chasses et les dégâts collatéraux causés par les chevaux aux maigres récoltes, ou aux terres ensemencées, s’ajoutant
au mécontentement causé par l’indiscipline et les abus de la troupe sont tout autant de mauvais
points à son encontre. Pendant ce temps, Jeanne
Jouve le 13 mars fait preuve d’un acte de bravoure pour sauver ses enfants.
La Cour reçoit également des
représentations de la Bête diffusées
en Gévaudan.

Louis
XV
mécontent de l’insuccès des dragons
envoie dès le mois de février un chasseur de loup réputé venu de Normandie, Marc-Antoine Vaumesle d’Enneval accompagné de son fils est envoyé en renfort pour traquer
«la Bête» arrivent à obtenir avec
l’aide de M. de Saint-Priest la
disgrâce du capitaine Duhamel qui a
continué de chasser de son côté après qu’il a essayé de chasser en vain avec
lui. En mars, Jeanne Jouve doit lutter pour protéger ses trois enfants, et son acte de bravoure sera récompensé par le roi. Commençant à tâter le terrain entre février et mars pays, n’y voyant qu’un
loup, leurs chiens sont soigneusement tenus en laisse, il la chasse à l’affut
en avril au moment où les dernières attaques de la les meurtres des 3, 4, 5, et
8 avril 1765 se cantonnent dans une autre zone de la Margeride, à une
cinquantaine de kilomètres plus au sud, selon un trajet plutôt cohérent :
Fontans, Saint-Denis, Arzenc de Randon, Chaudeyrac, en dehors du meurtre de Gabrielle Pélissier le 7 avril 1765, à
La Clauze, dont la rumeur gonflera la découverte de son corps, et suite à de
nouvelles attaques spectaculaires au printemps 1765, l’histoire de la «Malbête»
se répand dans toute l’Europe, l’impuissance du pouvoir royal étant tournée en
dérision, il apprend le 22 avril que la Bête
est accompagnée d’une louve, puis il
revint aux battues en en faisant des générales entre le 30 avril et le 23 mai (Il
y en aura 6 en avril, 5 en mai), mais il ne peut la débusquer et l’abattre
malgré ses chiens limiers, la pluie,
la grêle et le brouillard même en été est un handicap, la Bête se dérobe toujours et poursuit ses attaques, le reste du temps
les d’Enneval se rendent sur les
lieux d'une attaque signalée, la peur des paysans
en vue de la Bête lors des battues
est un poids supplémentaire, comme les bassesses de ceux qui ne recherchent que les honneurs notamment comme le sieur de La Védrines en mars qui tira
sur un gros chien en mars et prétendit
que c’était la Bête, et les Chastels témoins de la scène ne
confirmèrent pas ses dires, et des paysans
qui déguisent une louve tuée à La Panouze pour recevoir la prime le 23 avril, cependant,
malgré cela ils peuvent compter sur l’aide qu’ils reçoivent parfois de nobles locaux, tel le marquis d’Apcher, et de chasseurs venus de la France entière,
et même si l’espoir vint un moment avec la blessure faite par M. Marlet de Chaumette à la Bête le 1er mai, et même s’il
n’y aura pas d’attaques entre le 2 et le 18 mai, les battues reprennent,
quelques loups sont tués, quelques bergers attaqués, les apparitions de la
Bête se multiplient, mais personne
ne parvient à la tuer. Parallèlement, des primes importantes sont offertes pour
la mort de la Bête, bien que l'on
répugne à armer les paysans. Rien ne
fonctionne, malgré les tentatives d'empoisonnement des corps. En plus de cela, d’Enneval est gêné par les pièges
multiples, quelquefois farfelus donnés par des inventeurs à l'évêque de Mende et aux intendants suite à un afflux de courrier qu’il se refuse à
prendre à sérieux (à raison). Ils sont aussi de mauvaises relations avec la noblesse locale et plus
particulièrement avec le Comte de
Morangiès qui écrit sur eux une missive
incendiaire le 3 mai, mais les d’Enneval
se plaignent de ce fait le 23 mai. De plus, ils souhaitent armer les paysans, ce que les classes supérieures refusent
énergiquement, pendant ce temps, la crise ne cesse de s’aggraver. Le roi est d’ailleurs constamment informé
de leurs insuccès alors qu’ils ont réussis à bloquer la Bête dans la zone des Trois monts à force de battues faites en juin
et tente de la coincer, de la comprendre et de la mettre hors d'état de nuire,
mais la Bête continue de tuer et le
21 juin, elle fait trois morts. Le décompte macabre s’alourdit : on déplore 40
nouvelles victimes au mois de juin 1765, s'ajoutant aux 21 premières déjà
recensées.

La Bête
dévoreuse, qui semble invincible, va même humilier le roi Louis XV, devenu la risée de l’Angleterre… Ce dernier, pour
triompher de la Bête, envoie en
Gévaudan son premier porte-arquebuse, monsieur
Antoine, avec l'élite des gardes du
royaume et les meilleurs chiens
des équipages du roi, qui s'alarment
et découvrent une vieille géographie de la férocité qui s'étend bien au-delà du
Gévaudan alors que la Bête en est
déjà à 59 morts et une trentaine de blessés. Antoine et ses hommes se
joignent à d'Enneval lors de
différentes chasses. Cependant, la Bête
dont les attaques semblent se concentrer davantage entre Gévaudan et Auvergne
autour de Saugues et d’Auvers, se joue de ses astuces, des chasses qu’il mène
comme des battues auxquelles il doit maintenant recourir entre juin et
septembre 1765 qui connaissent également l'insuccès, et elle fait aller à
droite à gauche, comme le 6 juillet, puisqu’il vint à Broussoles «à l’occasion du meurtre d’une fille arrivé
le 4 juillet», Marguerite Oustalier,
une paysanne de soixante-huit ans, puis du 15 au 16 et du 20 au 21 juillet, il
coucha à Paulhac, où la Bête avait
été aperçue, ensuite le 23 juillet, deux
gardes se rendirent à La Bessière, non loin d’Auvers, où la Bête avait fait une victime, puis le 6
août, deux autres passèrent la nuit au Malzieu en revenant du village de
Marcillac, où des bergers avaient été attaqués, et il ne peut pas non plus
avoir à ses côtés d’Enneval congédié
le 18 juillet à causes de nobles locaux
ayant eu sa tête qui sera bien reçu à Versailles par le roi, et monsieur Antoine
a le droit à l’altercation entre la famille
Chastel et deux de ses
gardes-chasses le 16 août, et les bassesses locales sont visibles le 4
septembre, puisque monsieur Antoine
alla à Saint-Flour, où des paysans
avaient tué un loup dans l’espoir de
toucher la récompense promise, il découvre aussi avec horreur qu’un chien de berger dévorait un cadavre. Les
Chastels auront le droit d’un
emprisonnement limité à la seule durée du séjour de monsieur Antoine. Ce dernier, après avoir arrêté les chasses à la
mi-août à cause du mauvais temps, a un peu d’espoir, car il reçoit également le
secours du comte de Tournon,
gentilhomme d'Auvergne le 2 août, quand Marie-Jeanne
Valet blesse la Bête le 11 août, et après que le garde Rinchard a tué un gros loup le 29 août, mais dès le 2
septembre, une jeune fille est
attaquée à Desges, et qu’un teinturier, nommé Bodet, ses deux muletiers,
sont chargés par la Bête qui est
touché par un coup de fusil le 11 septembre, et il reçoit le secours de 2 valets et 12 chiens le 15 septembre, réussit en effet, le 20 septembre 1765,
à tuer un loup énorme puis une louve et deux louveteaux quasiment gros comme des vaches ont été abattus, une
fois l'animal empaillé et apporté à
Versailles, malheureusement, la dépouille a été détruite. Elle a été conservée
jusqu'en 1810, 1815, puis elle a été brûlée notamment parce qu’elle était très
abîmée, enfin, les journaux et la Cour se désintéressent de l'affaire, et
les carnages cessent trois mois.

Puis ils reprennent, loin des cérémonies
qui reconnaissent (en 1770 encore) la triomphante victoire du porte-arquebuse royal sur la Bête, un jeune berger est attaqué près de Marcillac, et d’autres personnes sont blessées ou tuées
durant l’automne, et le 21 décembre 1765, une autre jeune fille, Agnès Mourgues est dévorée à Lorcières,
et tout recommence, sauf que les loups
dits «enragés», seuls ou en meute,
hélas banals mais qu'on sait traquer, vont relayer et dissiper en 1766 la peur
de la Bête au dos rayé de noir… Les autorités locales en appellent au roi, mais ce dernier, convaincu qu'Antoine a abattu la Bête du Gévaudan, refuse d'intervenir
et interdit à la presse d’en parler.
L’affaire doit donc être réglée localement, le subdélégué Lafont est donc contraint en 1766 de conduire les
chasses avec des moyens limités et l’aide de quelques nobles locaux comme le marquis d'Apcher, tend des pièges, empoisonne les cadavres et organise
des battues, alors que l’animal
aurait blessé et «dévoré plusieurs
personnes», et la presse ne
donne que quelques informations éparses des attaques de la Bête entre 1767, car la liste des victimes s’allonge encore. On en comptera encore seize jusqu’à la
fin présumée de la Bête. Les
dernières attaques ont lieu sur un territoire plus réduit, près des villages
blottis contre le Mont-Mouchet et le Mont-Chauvet, sur la Margeride. Des pèlerinages
sont alors organisés à Notre-Dame d’Estours et à Notre-Dame de Beaulieu pour
demander à Dieu la fin des massacres.
Finalement, en juin 1767, au cours d'une battue diligentée par le marquis d’Apcher, sur la Sogne
d'Auvers, sur les pentes du nord du mont Mouchet, un chasseur-braconnier, Jean Chastel, tue un autre grand loup au poil rouge avec un
écart de mâchoires de deux pans, c'est-à-dire 45 centimètres. Une fois tué, la Bête a été promenée de village en
village, puis emporté à la Cour pour
être montré au roi. Dans la chaleur
estivale, la dépouille mal conservée, en état de décomposition avancée, est
rapidement enterrée ou détruite : elle disparait de l’Histoire de France.
Chastel, lui, s’est estimé grugé. Il
n’a jamais touché les 9400 livres de récompense (l’équivalent de 100 chevaux de
l’époque) mais n’a obtenu que 72 livres du diocèse. À partir de là, les
attaques contre les humains cessent
après que la louve et les louveteaux de ce loup furent tous tués. La Bête
aura commis, en trois ans, plus de 150 victimes, dont environ 100 morts, 27
blessés et 49 attaqués (estimation de Jean
Richard), et certains élèvent le nombre de victimes jusqu'à 250, avec 150
tuées et 70 blessées (estimation de Michel
Louis)… en trois ans.

Dès le XVIIIe siècle, les
épisodes sanglants et mystérieux du Gévaudan font couler beaucoup d’encre.
Depuis les premières sommes des abbés
Pourcher (1889) et Fabre (1901),
les travaux récents des chercheurs Jean
Richard, Guy Crouzet, Bernard Soulier et Jean-Marc Moriceau ont profondément renouvelé une historiographie
pléthorique et de qualité inégale. À partir du XXe siècle, l'énigme
s'est concentrée sur la nature de la Bête
et de nombreuses thèses souvent contradictoires ont surgi, sur ce que fut la Bête du Gévaudan. Les doutes persistent
: était-ce un loup, une hyène, un ours, un singe, des fauves
divers, un glouton, un thylacine, un
loup de Tasmanie…un molosse dressé par un sadique, un tueur en série ou un complot...
ou un être surnaturel ? Dès l’époque
de l’affaire, certains ont toujours affirmé qu’il s’agissait d’un loup ou de loups anthropophages. Et les meilleurs
chercheurs (Jacques Delperrié de
Bayac, Gilles Ragache, Guy Crouzet, le chanoine Félix Buffière, François
de Beaufort, Jean-Paul Chabrol, François-Louis Pelissier et Julien Benoit), les éthologues qui étudient le comportement
des loups concluent qu’il n’y a pas
une seule Bête, mais probablement trois, quatre ou cinq meutes de
loups qui ont opéré en même temps sur ce vaste territoire. D’autre part,
lorsqu’on fait l’histoire des loups en France, avec des preuves documentaires, on s’aperçoit qu’avant l’affaire du
Gévaudan, c’étaient uniquement un ou des loups
qui dévoraient les humains et
principalement les enfants, les jeunes bergers ou les jeunes bergères. On a deux séries de
preuves, l’historique des attaques de loup
en France contre les humains et les
travaux scientifiques qui montrent qu’exceptionnellement, dans des conditions
qui sont difficiles à expliquer, environ 2 % des loups peuvent devenir, et c’est une énigme, anthropophages. Une
certitude par contre, la Bête du
Gévaudan n’est pas une légende et a mis le royaume de France sous tension
et obligé Louis XV à employer des
moyens fantastiques pour tenter de la débusquer. Selon Bernard Soulier, elle aurait pu être aussi un hybride de loup et de chien, ce n’était pas très courant mais ça
pouvait exister. Un chien errant
peut très bien s’accoupler avec une louve.
Ce qu’on sait aussi, c’est qu’au XVIIIe siècle, certains chasseurs créaient des hybrides pour ensuite pouvoir chasser le loup avec ces animaux.
Cette hypothèse sera reprise par Michel
Louis mais détourné afin d’innocenter les loups. Mais, l’histoire d’un monstre qui ne serait pas un loup, même si elle circule dans le
Gévaudan jusqu’en 1767, se développe surtout au XIXe siècle, avec
les romanciers et certains historiens ou érudits. Certains disent que ce n’était
pas un loup, il y a plusieurs hypothèses, ce qu’on appellerait aujourd’hui un serial-killer (le docteur Puech, Marguerite
Aribaud-Farrère, Alain Decaux), un
ensemble de meurtriers (André Aubazac),
une Bête dressée spécialement pour
dévorer les enfants (Gérard Ménatory, Michel Louis, Jean-Jacques
Barloy, Raymond-Francis Dubois),
un loup-garou (Pierre Cubizolles), un sorcier,
un complot (Hervé Boyac, Roger Oulion,
Marc Saint-Val), un ours (François Fabre), un animal
exotique (François Fabre, Gérard Ménatory, Guy Crouzet, René de Chantal,
Marc Saint-Val, Éric Mazel et Pierre-Yves
Garcin, Michel Murger, Bruno Loisel), voire une hypothèse
plus fantaisiste (Alex Marques, Pascal Cazottes, Jean-Claude Bourret, Pierric
Guittaut)... C’est ce qu’on retrouve aujourd’hui encore sur Internet. Il y
a toujours des gens qui affirment, sans en montrer les preuves, que ce n’était
pas un loup.

L’'histoire de la créature fascine
toujours le public, on ne compte plus le nombre de romans comme La Bête du Gévaudan de Élie Berthet, La bête du Gévaudan d’Abel
Chevalley, Histoire fidèle de la
Bête en Gévaudan d’Henri Pourrat,
La Bête du Gévaudan de José Féron Romano, Les Grandes Enigmes De L'Histoire: La bête du Gévaudan de Pascale Hédelin et illustré par Alban Marilleau, Le Chien de Dieu de Patrick
Bard, Gévaudan de Philippe Mignaval, La bête de Catherine
Hermary-Vieille, «Le carnaval des
loups», écrit par Jean-Paul
Malaval, Du Gévaudan à Versailles
de Florence Metge, Gévaudan, C'était la bête de Alexandre Allamanche, Le Roman de la Bête de Gérard Roche, Les Contes interdits : La bête du Gévaudan de Bryan Perro, de bandes-dessinées comme La bête du Gévaudan de Jean-Louis Pesch, La Bestia de Adrien Pouchalsac et dessiné par Jan Turek, Le secret de la
bête du Gévaudan par Jean-Claude
Bourret et dessiné par Julien Grycan,
«La Malbête», par Aurélien Ducoudray et le dessinateur Pierre-Yves Berhin, Les griffes de Gévaudan par Jean-Charles Poupard et le dessinateur Sylvain Runberg, des pièces de théâtre
comme La Bête du Gévaudan, mélodrame,
de M. Pompigny, musique de MM. Quaisain et Darondeau, et ballets de M.
Millot, le 25 juillet 1809, La
Bête en Gévaudan de Claude
Alranq, «La Bête noire»
par le dramaturge Jacques Audiberti
ou encore la Bêtte du Gévaudan
de François Sauvenot, et de films sur le sujet pour preuve un
des plus gros succès du cinéma français, le film le “Pacte des Loups” de Christophe
Gans en 2001 et des succès
télévisuels comme La Bête du
Gévaudan réalisé par Yves-André
Hubert, diffusé le 3 octobre 1967 sur l'ORTF et du téléfilm
«La Bête du Gévaudan», réalisé
par Patrick Volson. La Bête inspire également les auteurs de mangas comme VanRah dans Stray Dog,
tome 1 qui apportent une deuxième jeunesse à ce mythe vieux de 250
ans.

Aujourd’hui, elle interroge aussi parce
que le loup est de retour en France
depuis le début des années 1990. Bien évidemment, on se pose des questions sur
les loups, on a des attaques dans le
Mercantour, en Lozère, en Haute-Provence… Il est normal que les gens qui s’interrogent sur le retour du
loup mettent cela en relation avec les affaires précédentes, dont la plus célèbre
reste la Bête du Gévaudan.
Pour aller plus loin, je vous conseille
ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Jacques Delperrie de Bayac, Du
sang dans la montagne, Fayard, 1970, Xavier Pic, La Bête qui
mangeait le monde en pays de Gévaudan et d’Auvergne, Albin Michel,
1971, Félix Buffière, La Bête du Gévaudan, Une grande énigme de
l'histoire, chez l'auteur, 1987, Catherine
Velay-Vallantin, Entre fiction et réalité. Le Petit Chaperon rouge et la
Bête de Gévaudan, dans Gradhiva :
revue d'histoire et d'archives de l'anthropologie, 17, 1995, pp. 111-126, Henri Pourrat, Histoire
fidèle de la bête en Gévaudan, Éditions Jeanne Laffite, 1998 (roman
bien informé mais dont l’hypothèse est avant tout fictive), François Fabre (abbé) et Jean Richard, La Bête du Gévaudan, Clermont-Ferrand, de Borée, 2001, Pierre Pourcher, La bête du Gévaudan : véritable fléau de Dieu, Éditions
Jeanne Laffite, 2006, Walton Ford, «Walton Ford», Musée de la chasse
et de la nature, exposition du 15 septembre 2015 au 28 février 2016, et https://www.parisecologie.com/Archives/Evenements2015-16/ExpositionWaltonFord/ExpositionWaltonFord%202.htm, Charles-Éloi Vial, "La Bête du
Gévaudan et ses archives", Revue
de la Bibliothèque nationale de France, n° 56, 2018, p. 22-29, Jean-Paul Chabrol, Sur les traces de la Bête du Gévaudan, Editions Alcide,
2020, https://scerri6.wixsite.com/lartpenteur/single-post/ces-enfants-ch%C3%A9tifs-%C3%A9taient-une-proie-toute-d%C3%A9sign%C3%A9e-pour-la-b%C3%AAte-du-g%C3%A9vaudan, https://www.leveil.fr/puy-en-velay-43000/faits-divers/jean-paul-chabrol-aborde-les-facettes-de-cette-affaire-hors-norme-et-sensationnelle_12993711/, et https://www.objectifgard.com/actualites/gard-une-bete-divertissante-et-intelligente-17411.php, Jean-Marc Moriceau, La Bête du Gévaudan. Mythe et réalités,
Tallandier, 2021, Gérard Lattier, La
Bête, une histoire de la bête du Gévaudan, Dossier
pédagogique de l’exposition du 30 septembre au 31 décembre 2022, Maison
Rouge – Musée des vallées cévenole, septembre 2022, Paul Xavier, La bête du
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