
Des légendes effrayantes se répandent dans les montagnes et les
villages coréens depuis des siècles, mais peu de fantômes pèsent autant dans l'imaginaire collectif que les Gwisin coréens : des entités
surnaturelles liées aux vivants par les plaies ouvertes d'une perte non guérie.
S'appuyant sur une tradition séculaire, ces fantômes illustrent la relation ambivalente de la Corée à la mort,
à la mémoire et aux tensions sociales. Le gwisin
trouve son origine dans le chamanisme
coréen traditionnel (muisme),
religion du culte des esprits et des
ancêtres défunts. Il repose sur la
croyance que les morts doivent entreprendre un voyage digne vers le paradis,
subir l'indignation et le traumatisme, et ainsi être envoyés comme des fantômes
vengeurs. Le confucianisme, répandu
sous la dynastie Joseon (1392-1897), a amplifié cette peur. Le rituel
de deuil et le culte des ancêtres (jesa) sont devenus
moralement nécessaires. Une mort brutale – par suicide, trahison ou brutalité –
a osé créer un gwisin. Les guerres
passées, comme les invasions japonaises (1592-1598) ou la guerre de Corée (1950-1953), ont
agité de nombreuses âmes, donnant
naissance à des récits de vengeance fantomatique.

Cheonyo Gwishin (Esprit
Vierge) apparaissait sous la forme d'une femme vierge et prépubère, aux longs cheveux noirs et vêtue d'une
robe blanche. L'invention de ce fantôme
trouvait ses racines dans le confucianisme.
On croyait que les femmes devaient
servir leur mari ou leur père, et que si elles mouraient
vierges, leur mission était inachevée et elles revenaient donc sur terre pour
semer le trouble. Il existait peu de moyens de soulager ce fantôme perturbé, notamment la construction de sculptures
phalliques ou l'union d'une femme Gwishin
avec un homme contemporain lors d'un
rituel chamanique. Cependant, les apparitions de fantômes masculins semblent nettement plus rares, laissant de nombreux fantômes solitaires et terrifiants
errer dans les hôpitaux, les écoles et les bois abandonnés. Un autre fantôme
courant, souvent aperçu sur l'île de Jeju, est le Mul Gwishin (fantôme de
l'eau). Ce sont des fantômes
aquatiques qui apparaissent dans les lacs, les mers, les rivières et même
les baignoires. Ils sont caractérisés par des vêtements constamment mouillés et
des bras excessivement longs. Il s'avère que les Mul Gwishin se sentent souvent seuls sous l'eau et recherchent la
compagnie des nageurs insoupçonnés
en les attrapant avec leurs bras étrangement longs et en les noyant. Une autre
version de Gwishin apparaît sous la
forme d'un fantôme de toilettes (Cheuksin). Cheuksin Gwishin, comme on le soupçonne, est aussi un fantôme féminin vierge qui vivait
autrefois au plafond des toilettes coréennes et portait une longue chevelure
noire. Ces fantômes étaient assez
vicieux et étranglaient quiconque leur manquait de respect avec leurs cheveux
depuis le plafond. Elle a fait son retour à l'époque moderne et est désormais
surnommée avec glamour le fantôme des
toilettes (Hojangsil Gwishin).
Elle apparaît principalement en tirant la chasse d'eau au hasard et en jetant
des morceaux de papier toilette. Ses responsabilités ont certainement diminué
depuis l'époque des toilettes. Il existe d’autres
fantômes coréens comme le wonham,
un esprit vengeur qui garde rancune envers quelqu’un qu’on retrouve dans Hotel del Luna (2019), et Arang and the Magistrate (2012),
qui s’inspire de la légende d'Arang
qui est l'une des histoires les plus importantes concernant ces esprits en
quête de justice par la vengeance, elle remonte à la dynastie Joseon,
entre 1400 et 1900, et on dit qu'elle a vécu au milieu du XVIe
siècle, les sasin ou jeosung saja, dont le rôle est d’amener
l’âme dans l’endroit prévu par les déités que l’on voit également dans Arang and the Magistrate (2012),
et ceux aux images saisissantes, tels que Palcheok-gwi
(fantôme de deux mètres cinquante), Oedari-gwi (fantôme unijambiste) et Susal-gwi
(fantôme noyé) que l’on retrouve
dans The Haunted Palace
(2025).

Afin de tenir les Gwisin à distance, les Coréens avaient recours à des rituels chamaniques (gut), au cours desquels les mudang (chamanes) servaient d'intermédiaires entre les mondes, offrant
nourriture, musique et prières pour apaiser les esprits. Les chamanes
pratiquent des rituels, comme
le cheondojae, pour
accompagner les esprits, et elles
chassent les fantômes. Autrefois, la
télévision associait le chamanisme à
la peur et au mystère. Il apparaissait surtout dans des cadres ruraux, servant
à raconter des histoires de fantômes inquiétants. Par exemple, dans
la série «Hometown Legends»
(1977-1989), les chamanes jouaient
souvent des rôles secondaires, voire antagonistes. Des films à succès comme "Exhuma" (2024), un
thriller dans lequel un groupe de
chamanes affronte un esprit
maléfique, ont ravivé l'intérêt du public pour le sujet. Depuis 2020, leur
présence s’est généralisée dans les séries
et films. Dans les maisons, elles pouvaient saupoudrer de sel sur
les portes ou accrocher des talismans
portant des sutras bouddhistes
inscrits dessus. Les rituels Jesa,
qui consistent à offrir des offrandes aux ancêtres,
empêchent les morts de devenir Gwisin. Tout cela relève d'un état
d'esprit culturel : vénérer le passé, sous peine de subir son châtiment
fantomatique. Contrairement aux fantômes
occidentaux, qui nuisent souvent sans raison aux vivants, les fantômes
traditionnels coréens sont des êtres
pleins de regrets qui cherchent à communiquer avec les vivants. C’est
pourquoi les rituels chamaniques
en Corée visent à apaiser et accompagner les esprits, plutôt qu’à les exorciser comme en Occident.

De nombreux récits de Cheonyeogwisin,
ou fantômes vierges, ont jalonné l'histoire coréenne. Deux des fantômes vierges coréens les
plus célèbres figurent dans le conte
populaire coréen de l'époque Joseon, L'Histoire de Janghwa et Hongryeon. L'histoire de deux sœurs tuées par leur méchante belle-mère avant leur mariage.
Elles reviennent sous forme de fantômes
pour se venger et rétablir la vérité. Cette histoire a également été adaptée au
cinéma en 2003, sous le titre «Le
Conte de deux sœurs», réalisé par Kim
Jee-woon. Dans un roman du
XVe siècle de Seong Hyeon
(1439-1504), une servante se suicide
pour revenir sous la forme d'un fantôme
et retrouver l'homme qu'elle a
épousé en secret. Cho Su-sam
(1762-1849), dans un poème écrit dans les années 1810, évoque «les fantômes inassouvis qui menacent la
paix». En 1913, l'historien James
Scarth Gale (1863-1937) publie une compilation
en anglais de contes populaires coréens rédigés par les érudits Bang Im (né en 1640) et Ryuk Yi (milieu du XVe
siècle). Quarante ans plus tard, l'écrivaine américaine Eleanore Myers Jewett (1890–1967) publie un autre recueil d'histoires de fantômes coréennes magnifiquement illustrées par l'artiste japonais
Yashima Tarō (1908–1994). La littérature actuelle n'est pas en
reste : les fantômes continuent de
rôder quelque part dans de nombreux romans du XXIe siècle, comme L'Étoile du soir (Kaebapparagi pyōl) de Hwang Sok-yong (2008) ou Veuillez vous occuper de maman (Ommarŭl putakhe) de Shin Kyung-sook (2011), parmi tant
d'autres.

Les Gwisin terrorisent désormais la télévision dans les k-dramas romantiques comme «Oh My Ghost Clients» (2020), où
le chamanisme joue le rôle d’une
métaphore sociale : écouter les histoires
de travailleurs décédés, apaiser
leurs ressentiments et chercher la vérité s’apparente à un rituel moderne qui
remplace les exorcismes traditionnels, «Arang and the Magistrate» (2012), un mélange un suspense
obscur avec des moments sincère, Bring
It On, Ghost (2020), une série charmante et émotionnellement
résonnante, et les deux personnages
apportent beaucoup de profondeur à leurs rôles, et «The Haunted Palace» (2025), qui mêle romance, exorcisme, fantasy et intrigues de palais. Nous rencontrons un Cheonyeogwisin dans le véritable style
d'histoire de fantômes, mais dans certains
récits modernes du vieux mythe, ils ne sont pas toujours célibataires,
et pas toujours vierges au sens strict. Et le cinéma coréen, faisant écho aux peurs contemporaines.
A Tale of Two Sisters (2003)
et Hotel del Luna (2019)
réinterprètent les esprits comme des métaphores de traumatismes refoulés : le
chagrin d'une mère, la trahison d'une fille. The Wailing (2016) relie les Gwisin au mécontentement social, mêlant folklore
et horreur existentielle. Ces récits dénoncent également
l'injustice historique. L'apparition de femmes
gwisin témoigne de l'histoire
patriarcale de la Corée, où la souffrance des femmes était occultée. En parlant au nom des fantômes, les récits
modernes lèvent le voile sur le «han»
social, qui signifie en coréen une profonde tristesse sociale.

Aux fantômes s’ajoute les créatures.
Une créature de la mythologie coréenne qui a
récemment gagné en popularité est le dokkaebi,
généralement représenté comme un démon
ou un gobelin, avec des cornes et
des visages déformés. La première mention des gobelins coréens se trouve dans une histoire du royaume de Silla, en Corée centrale et
méridionale, figurant dans les webcomic
Lady Dohwa et Bachelor Bihyeong. Depuis leur
première apparition dans le folklore,
ils sont devenus un élément régulier des contes populaires de la mythologie coréenne,
interagissant souvent avec les protagonistes humains de diverses manières. Les dokkaebi sont connus pour être des
farceurs malicieux et friands de jeux. On les appelle aussi les Robin des Bois des monstres coréens,
car ils volent les cupides et
récompensent ceux qu'ils jugent dignes. Les dokkaebi ont récemment fait une apparition nettement améliorée dans
le K-drama à succès de 2016 «Goblin : The Great and Lonely God».
Une autre créature bien connue de la culture
populaire est le gumiho (signifiant
«renard à neuf queues»). Le concept
de gumiho est issu de la mythologie chinoise et fait
partie du folklore coréen
depuis la période des Trois Royaumes (57 av. J.-C. à 668). Selon les mythes, un gumiho naît lorsqu'un renard
vit mille ans. Le gumiho acquiert
alors la capacité de se métamorphoser et prend souvent l'apparence d'une belle jeune femme. Il est également
courant qu'il séduise les hommes et
les dévore littéralement. S’ils vivent un véritable amour avec un homme humain pendant quelques mois, il
peut devenir humain. Les gumiho sont
des personnages populaires présents dans plusieurs webcomics, dont «The
Fox Sisters» et «The God of
High School», tous deux lancés en 2011, dans les médias coréens, avec des personnages comme Ahri du jeu en ligne League
of Legends, Harah dans Gumiho (1994), la famille de Gumiho gajok (2006), Mi
Ho dans My Girlfriend is a Gumiho
(2010), Choi Kang Chi dans Gu Family Book (2013), San-daek dans Grudge: The Revolt of Gumiho (2020), Lee Yeon dans Tale of the
Nine Tailed (2020) et Tale of
the Nine Tailed 1938 (2023), et Shin
Woo-Yeo dans My Roommate Is a
Gumiho (2021), devenus des icônes de la culture pop en Corée et
dans le monde entier.
Pour aller plus loin, je vous
conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : https://gwangjunewsgic.com/arts-culture/movie/korean-ghost-stories/,
https://korelimited.com/blogs/korelimited/korean-ghosts-and-monsters-to-haunt-your-halloween,
https://moonmausoleum.com/korean-virgin-ghost/,
https://vocal.media/horror/gwisin-the-haunting-history-and-folklore-of-korea-s-restless-ghosts,
https://www.geo.fr/geopolitique/en-coree-du-sud-avec-les-chamanes-qui-lisent-l-avenir-politique-du-pays-226840,
https://www.hallyutrail.com/blog/ghosts-in-south-korea,
https://www.koreatimes.co.kr/entertainment/shows-dramas/20250424/the-haunted-palace-brings-occult-and-romance-together-in-a-genre-bending-fantasy-hit,
et https://www.planete-coree.com/reinterpreter-les-etres-surnaturels-coreens/.
Merci !
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