
Lurs, Alpes de Haute-Provence. Au matin
du 5 août 1952, sur le bord de la nationale 96, découverte macabre : Jack Drummond, sa femme Anne et leur fille Elizabeth, 10 ans, une famille de touristes anglais qui s’étaient
arrêtés pour camper, ont été sauvagement assassinés. Non loin de là, se trouve
la ferme des Dominici. Au milieu de
la nuit, des coups de feu ont retentis. L’arme, une carabine automatique M1
Rock-Ola, sera retrouvée dans la Durance. Le commissaire Sébeille arrive de Marseille pour mener l’enquête. Sans
preuve matérielle, les fausses pistes s'accumulent. L’affaire est complexe : la
police piétine; la presse se
déchaîne, la porte ouverte à toutes les hypothèses et à bien des supputations.
Mensonges, contradictions, révélations tardives… Et aucun élément matériel, si
ce n’est l’arme du crime, une carabine Rock-Ola, qui ne dévoilera jamais tous
ses secrets. Les enquêteurs se
retrouvent sous pression pour résoudre l’énigme : qui a tué les Anglais ? Très vite, l’enquête
s’oriente vers les Dominici, une
famille de paysans habitant tout près des lieux du crime. Un clan qui a tout
pour attirer l’attention sur lui : Gaston,
77 ans, le patriarche bourru, silencieux, autoritaire, sa femme Marie, 73 ans surnommée «la
Sardine», il a eu neuf enfants,
parmi eux ses fils Gustave, son
favori, 33 ans, qui a découvert les corps, et Clovis, 47 ans. Et puis, il y a encore Yvette, l’épouse de Gustave,
enceinte d’un deuxième enfant et leur fils Alain,
âgé de dix mois. Le commissaire Sébeille
accumule pourtant des éléments pour acculer les Dominici, mais, très vite aussi, l’affaire s’enlise : le premier
suspect est Gustave, l'un des fils Dominici, qui a repris l'exploitation
de la ferme. Il dira tout et son contraire, parfois dans la même journée !
Confronté à son père qu'il a accusé
de meurtre, il se rétractera puis l'accusera à nouveau. Clovis, un autre fils Dominici,
l'accusera aussi. Si Gustave et Clovis dénoncent leur père Gaston en novembre 1953, celui-ci nie
farouchement, formule des aveux invraisemblables la 14 novembre 1953, le répète
devant le juge, participe à la
reconstitution, mais il précise aussi qu'il se sacrifie pour sa famille et accuse à son tour Gustave. On s'accorda à l’époque à
considérer que l'enquête avait été bâclée et que l'instruction avait été menée
à charge.

Au terme d'un procès ouvert le 16
novembre 1954 qui a marqué tous les esprits par son impact médiatique et les
passions qu'il a suscitées, dans une salle comble de la cour d'assises des
Alpes-de-Haute-Provence au palais de justice de Digne envahie par une centaine
de journalistes empressés et une foule par l'odeur du sang alléchée, où Jean Giono et Armand Salacrou sont venus écouter la famille Dominici faire bloc autour de Gaston, le patriarche sera finalement condamné à mort Le 28
novembre 1954, à l'âge de soixante-dix-sept ans, après douze jours de débats
mouvementés. Il parle au procès comme s'il savait la vérité mais sans vouloir
la dévoiler lui-même, et clame son innocence. Yvette et Gustave
reviennent sur leurs déclarations, seul Clovis
tient bon, mais le procès se perd : tous ont dissimulé quelque chose, refusé
des évidences, multiplié les revirements. Gaston,
dans son box, regarde ses enfants se
déchirer, joue tantôt au sourd, tantôt au malin, mais rappelle à l'ordre Gustave quand il le trouve un peu mou. Il
n'y a aucun mobile et pas de preuve. On s'émut de la tournure des débats qui
avaient souvent ressemblé à une sorte de corrida où l'accusé avait été soumis à
un harcèlement sans fin à la manière du taureau traqué dans l'arène. On
critiqua l'extrême partialité du président.
On s'étonna que le réquisitoire de l'avocat
général, plus littéraire que judiciaire – le journal Le Monde parla de «verve
éblouissante», de «conteur
extraordinaire» –, fut radiodiffusé à l'extérieur de la salle d'audience
sans autorisation écrite du président de
la cour d'assises et sans que la Cour
de cassation, saisie d'un recours sur l'irrégularité du procédé, ne trouve
à y redire. On blâma les avocats
pour leur manque de combativité et d'à-propos. On incrimina les journalistes d'avoir influencé les
investigations et égaré le procès sur des chemins où le goût du sensationnel
l'emportait sur la saveur de la vérité. Mais le doute subsiste, l’opinion s’en mêle, à la suite de
nouvelles révélations de Gaston Dominici,
une nouvelle information judiciaire fut ouverte, mais les nouvelles investigations
ordonnées par le garde des Sceaux n'aboutirent
à rien en novembre 1956, les conclusions des deux policiers, Chenevier et Gillard, mettaient alors en cause Gustave Dominici, l’un des fils de Gaston, et Roger Perrin,
l’un de ses petits-enfants et, en 1957, le président
Coty commue la peine en détention à perpétuité, avant d'être gracié par le général de Gaulle le 14 juillet 1960. Gaston Dominici finit ses jours,
solitaire et oublié, à l'hospice de Digne où il mourut le 4 avril 1965 en
emportant avec lui le secret des crimes.

Puis l’affaire Dominici devient un thème à la mode : une vingtaine
d'ouvrages et les théories les plus insensées sont proposées. Sébeille ajoute une intrigue sulfureuse
à cette histoire. Mais est-il vraiment possible que Gaston Dominici, 76 ans, ait eu une rencontre sexuelle avec Ann, cette jeune lady anglaise ?
Certains ont émis l’hypothèse de l’espionnage, y voyant la main du KGB. En effet, l’un des deux Drummond travaillait très certainement
pour les services de Sa Gracieuse
Majesté. D’autres y voyaient un accident de braconnage… Moins romanesque,
certes, mais aussi moins probable. Orson
Welles en a tiré un documentaire, et deux films en 1973 avec Jean Gabin dans le rôle de Gaston Dominici, qui colle au plus près
de la réalité des faits sans trop la romantiser, et le téléfilm réalisé par Pierre Boutron avec Michel Serrault dan le rôle du
patriarche, et Michel Blanc en 2003qui
reprend la théorie fumeuse de William
Reymond, auteur de "Dominici,
non coupable - Les assassins retrouvés" (Flammarion) qui défend la thèse de "l'erreur judiciaire", explicable par "la raison d'Etat dans un contexte de
guerre froide et de secret scientifique", le théâtre aussi qui a vu l'affaire
Dominici portée sur les planches
par Robert Hossein en 2010 dans une pièce
de théâtre interactive essayant de coller aux faits qui demande à l’issue de la
représentation au public de voter, et dans laquelle l'acteur Pierre Santini incarne le patriarche Gaston Dominici, mais aussi par le Centre Dramatique Occitan en 2017 dans
la pièce Moi, Gaston Dominici,
assassin par défaut qui se base sur la partialité du procès envers Gaston Dominici, et la bande dessinée en 2010 dans laquelle le
scénariste Pascal Bresson et le
virtuose du lavis René Follet, se
penchent à leur tour sur les faits, et dans ce one-shot à la fois instructif et
esthétique, ils donnent leur éclairage sur cette histoire fascinante, tandis
que Jean-Louis Vincent, publia en
2016 un livre-pavé dans la mare : "Affaire
Dominici, la contre-enquête" aux éditions Vendemiaire, où l'ex-policier rouvrait ce dossier
sensible, après quinze ans d'une contre-enquête et selon lui, Gaston Dominici est coupable afin de
répondre à la thèse de son innocence aujourd'hui la plus répandue, n'ont fait que sédimenter diverses hypothèses
qui ont transformé cette affaire en l'une des énigmes judiciaires les plus
coriaces.
Pour aller plus loin, je vous conseille
ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Thérèse Armengol, «Entre le droit et la fiction. L’erreur
judiciaire à travers quelques grandes affaires criminelles dans le cinéma
français», dans Criminicorpus,
2007, et https://journals.openedition.org/criminocorpus/209, Jean-Louis Vincent, Affaire Dominici : La contre-enquête,
Editions Vendémiaire, 2016, https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/laffaire-dominici-la-contre-enquete-du-commissaire-jean-louis-vincent_3322215.html, et https://www.ouest-france.fr/societe/justice/justice-affaire-dominici-quelqu-un-connait-la-verite-sur-le-triple-meurtre-c3bb7ad2-1340-11ed-8fd8-ea606a254559, Michel Laval, «J'y suis été» : Actualité
de l'affaire Dominici, dans Les
Cahiers de la Justice n° 2, Dalloz, 2024/2, pages 177 à 182, et https://droit.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2024-2?lang=fr, https://www.laprovence.com/article/edition-vaucluse/4385612/nouveau-coup-de-theatre-dans-laffaire-dominici.html, https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/rendez-vous-avec-x/l-affaire-dominici-1900728, https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/articles/les-derniers-secrets-de-l-affaire-dominici/46759.
Merci !
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