
Le conclave, du mot cum clave (en latin : " pièce fermée à clef "),
institué en 1274 et se tenant toujours à huis clos pour élire un pape, est un de ces événements qui
attisent une curiosité quasi universelle. Le souverain est élu par une assemblée
et non désigné de façon héréditaire; d'autre part, le mode d'élection est
inchangé depuis un millénaire - le moment venu, quelque cent vingt cardinaux (135
actuellement) se réunissent dans un lieu coupé du monde et fermé à clé (d'où le
mot «conclave», cum clave, « avec la
clé »), afin de désigner le nouvel
évêque de Rome, qui sera aussi le chef de l'Église catholique. Toutefois, si le processus visant à choisir le pape est immuable, le déroulement de
chaque conclave est bien différent et son résultat toujours surprenant.
À chaque élection, les journaux
fleurissent de listes de papabili,
mais le résultat vérifie souvent le proverbe bien connu : "Qui entre pape au conclave en sort cardinal." Un
conclave n'est pas l'équivalent d'un scrutin politique : il n'y a ni campagne
électorale ni candidats déclarés. La
majorité des deux tiers des voix pour être élu – règle en vigueur depuis près
de mille ans – empêche des résultats serrés et permet tous les retournements.

Une histoire mouvementée, souvent
contrariée par les puissances temporelles désireuses de favoriser tel cardinal ou, au contraire, d'empêcher
tel autre. Grégoire X a été élu en
1271 à l'issue d'un conclave qui a duré trois ans, où après deux ans et neuf mois
de délibérations, soit 1006 jours, les autorités
de Viterbe (Italie), à bout de nerfs, enferment les cardinaux dans le palais épiscopal, ôtent le toit et menacent de
les affamer pour les pousser à prendre une décision, et les cardinaux, toujours
incapables de trouver un consensus, forment alors une commission de six membres pour élire le nouveau pape. Le nouveau
pape réglementa en 1274 les conclaves à venir pour éviter les longs
interrègnes. Ce texte reprenait et complétait des décrets plus anciens, ceux de
Nicolas II en 1059 et d’Alexandre III en 1179, qui avaient déjà
défini deux principes toujours appliqués aujourd’hui : celui qui réservait
l’élection des papes au collège des cardinaux (écartant donc le
clergé romain et la noblesse, qui avaient provoqué bien des
troubles dans les siècles précédents); et celui qui fixait la majorité requise
aux deux tiers des électeurs. Grégoire X ajoute de nouvelles
restrictions : si aucune décision n'est prise au bout de cinq jours, les cardinaux sont réduits au pain, au vin
et à l'eau et doivent vivre en commun sans séparation dans la pièce. Selon ces
dispositions, le premier conclave de l'histoire, après la promulgation
de la constitution Ubi periculum,
fut celui d'Arezzo en 1276 avec l'élection d'Innocent V.

Le conclave de 1378 a provoqué le
Grand Schisme d'Occident qui a vu trois
hommes d'Église revendiquer la papauté après l’élection contestée d’Urbain VI (1378), qui se termine avec un
concile qui élit le pape Martin V
(1417). Le cardinal Borgia - certes respecté pour son travail, mais aussi père
de plusieurs enfants - n'était
absolument pas destiné à devenir le pape Alexandre
VI en 1492, mais la corruption y aida beaucoup. En 1549, pour éviter un pape anglais, on choisit Jules III (1549-1550) soutenu par le
roi de France Henri II. C’est durant
celui-ci que l’’exclusive
devient un usage au profit de la France, l’Espagne et l’empereur du Saint Empire romain-germanique (passant à l’empereur d’Autriche à la dissolution de
ce dernier au début du XIXe siècle). Plus tard, la constitution apostolique de Sixte Quint du 3 décembre 1586 fixa la
composition du conclave à 70
cardinaux. Cette disposition fut longtemps respectée par ses successeurs,
puisqu’elle passa dans la législation codifiée de l’Église de 1917. En septembre 1590, lors du conclave qui le
nomme pape, Urbain VII contracte la
malaria. Il meurt 12 jours après son élection accomplissant le pontificat le
plus court du Vatican. Le conclave se réunit à nouveau le 8 octobre et
est marqué par l'interventionnisme de Philippe
II d'Espagne. En 1621, Grégoire XV
introduit l'obligation du vote secret et écrit. Celui de 1740, qui allait
donner lieu à l'élection du futur Benoit
XIV voit les polémiques et batailles en tous genres faisaient rage dans l'Église. Après 360 tours de vote, il
restait trois candidats. Le cardinal bolonais Prospero Lambertini
s'est alors adressé aux autres cardinaux,
et leur a dit, en substance : "Si
vous voulez choisir un fin politique, prenez le premier. Si vous voulez un
homme très pieux, le deuxième. Mais si vous voulez choisir un couillon,
prenez-moi." Et ce fut un excellent pape.

Le conclave de 1799-1800 permet de
rappeler qu’à cette époque les États de l’Église
ont été remplacés par une République
romaine réduite en dimension par rapport à ces derniers et éphémère. La République de Venise vient de
disparaître et c’est donc dans une Venise autrichienne que se tient le conclave
en question. Vienne s’oppose fermement à l’élection du cardinal Bellisomi et ce fut le cardinal Chiaramonti qui fut choisi prenant le nom de Pie VII. Son pontificat dura
vingt-trois ans et il vit donc le rétablissement, avec leurs limites d’avant la
Révolution française, des États de l’Église
dans la péninsule italienne. Au XIXe siècle, c’est un conclave sous
la menace qui choisir Grégoire XVI
(1830-1831) et qui dura 4 jours, et au XXe siècle, ce sera la fin du
veto politique avec le choix de Pie X
(1903) après qu’un des trois États, qui en a l’usage coutumier, met son veto à l’élection
d’un fort potentiel porteur de tiare qu’est le cardinal Rampolla, en 1914 et en 1939, ces conclaves
choisissent des papes pour faire
face à la guerre, Benoît XV et Pie XII, élu en moins de 24 heures et
en trois tours. Depuis 1903, aucun conclave n'a duré plus de cinq jours: il a
fallu quatre scrutins pour élire Benoît
XVI (moins de 48 heures comme Jean-Paul
II avec 8 scrutins en 1978), onze pour Jean
XXIII (trois jours en 1958). Il faut remonter à 1922 pour voir un conclave
de plus de quatre jours, avec l’élection de Pie XI après cinq jours et quatorze votes. Dans la seconde moitié
du XXe siècle, les papes,
sans remettre fondamentalement en cause les règles définies au Moyen Age,
y ont apporté quelques retouches. Ainsi, Pie
XII en 1945 a porté la majorité aux deux tiers des voix plus une (pour
éviter qu’un cardinal ne puisse être
élu grâce à son propre suffrage), Jean
XXIII, passionné d’histoire, a accentué le secret en exigeant que les
bulletins soient systématiquement brûlés, et Paul VI en 1970 a limité le corps
électoral aux cardinaux âgés de
moins de quatre-vingts ans. Jean-Paul
II en 1996 a prévu une dérogation à la proportion des deux tiers au cas où
un conclave se prolongerait de façon excessive (trente-trois scrutins sans
résultat), mais son successeur a supprimé cette possibilité en 2007, et il a
consacré la chapelle Sixtine comme lieu unique des conclaves,
officialisant une tradition remontant à l’élection de Léon XIII en 1878. Plus récemment, que l'élection du pape François en 2013 a été
révolutionnaire à plus d'un titre - il est le premier souverain pontife
jésuite, sud-américain et fils d'immigrés italiens.

Ressort toutefois de ce tableau l'image
d'une Église qui, au-delà des
vicissitudes humaines, se renouvelle d'époque en époque tout en restant fidèle
à des convictions qui remontent à son origine.
Pour aller plus loin, je vous conseille
ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Yves Chiron, Histoire des
Conclaves, Perrin, 2013, et https://www.persee.fr/doc/rhef_0048-7988_2013_num_99_243_4728_t10_0368_0000_2, et Les dix conclaves qui ont marqué
l'histoire, Perrin, 2024, https://www.francetvinfo.fr/monde/vatican/pape-francois/l-election-du-pape-n-est-pas-un-scrutin-politique-mais-un-acte-religieux_279169.html, https://www.francetvinfo.fr/monde/vatican/pape-francois/c-est-l-histoire-d-un-conclave_280335.html, https://www.leclubdesjuristes.com/international/conclave-a-rome-une-longue-histoire-de-droit-et-de-formalisme-10464/, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/03/12/01016-20130312ARTFIG00257-cinq-anecdotes-a-connaitre-dans-l-histoire-des-conclaves.php, et https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2025-04/histoire-conclave-moyen-age-267-pape-sede-vacante-2025.html.
Merci !
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