La guerre de Crimée est à la fois la
première guerre industrielle et l'occasion d'une redistribution diplomatique en
Méditerranée et en Orient.

À l’origine du conflit se trouve la
querelle entre catholiques et orthodoxes concernant leurs droits réciproques
sur les sanctuaires chrétiens de Terre sainte, et plus particulièrement le
refus du sultan de reconnaître le Tsar comme protecteur officiel des orthodoxes de l’Empire ottoman; l’occupation des principautés danubiennes par les
troupes russes soulève le mécontentement de Londres et Paris. Il faut dire qu’en
février 1853, Nicolas 1er
dépêche auprès du sultan Abdülmecid 1er
le prince Menchikov, lequel exige
avec arrogance l’institutionnalisation d’un protectorat russe sur les sujets orthodoxes de l’empire. Devant
le refus du sultan, qui ne saurait
accepter une telle atteinte à sa souveraineté, l’État russe envahit en juillet les provinces roumaines de Moldavie et de Valachie rattachées à la Porte au motif que les chrétiens orthodoxes y seraient
maltraités. Il donne ainsi à son action l’allure d’une croisade religieuse. En
réponse, l’Empire ottoman déclare la
guerre à la Russie le 4 octobre. Après un premier combat naval victorieux à
Pitsounda le 9 novembre, le 30 novembre 1853, l’escadre russe défait la flotte
turque dans le port de Sinope et prend le contrôle de la mer Noire
au détriment des Ottomans.
L’équilibre européen est menacé par l’expansionnisme de la Russie. Tandis que
le Tsar qui reste guidé par le souci
de consolider sa prédominance dans les Détroits, en s’emparant des Balkans,
vise à terme à contrôler des détroits du Bosphore et des Dardanelles, qui
barrent l’accès de la Méditerranée à leur flotte
de la Mer Noire, s’illusionnait sur le
soutien anglais, dès 1854, la Porte
est rejointe par la France et la Grande-Bretagne car Napoléon
III cherche à restaurer l’influence française sur la scène européenne et
méditerranéenne se rapproche alors de la reine
Victoria d’Angleterre qui veut affaiblir la Russie en passe de devenir un
inquiétant rival sur le terrain asiatique, avec une opinion russophobe, aiguillonnée par sa sympathie pour la cause polonaise, s’avère active et
efficace, et l’année suivante par le Piémont-Sardaigne; l’Autriche adopte une
neutralité armée aux côtés des alliés.
Ce qui aurait dû être un énième conflit russo-turc se transforme en guerre
russo-européenne : champions de l’orthodoxie,
les Russes sont choqués par l’union de l’islam avec la chrétienté catholico-protestante. La
situation devenant critique pour l’Empire
ottoman, France et Angleterre signent, le 12 mars 1854, un traité
d’alliance avec ce dernier (en contrepartie duquel la Porte s’engage à promouvoir des réformes). Et, le 27 mars 1854, les
deux empires, britannique et français,
déclarent la guerre à l’empire tsariste.
À l’été 1854, Nicolas 1er
décide de retirer ses troupes des principautés danubiennes, signe de
bonne volonté. Mais les alliés,
méfiants devant cette volte-face, décident de poursuivre l’offensive en
débarquant en Crimée le 14 septembre 1854.

Alors commence le premier conflit de
l’ère industrielle, avec la projection à des milliers de kilomètres de dizaines
de milliers de soldats, et
l’utilisation d’armes nouvelles (les fusils modernes provoquent des blessures
plus graves d’où le grand nombre d’amputations, le cuirassé, l’obus explosif), et
les innovations médicales (le docteur
Nikolaï Pirogov pratique la première anesthésie sur champ de bataille);
bateaux à vapeur, chemins à de fer, télégraphes sont de la partie; la guerre
est également source d’innovation journalistique en suscitant les premiers reporters. C’est aussi la
première guerre que la photographie va immortaliser. En Grande-Bretagne et en
France, la guerre est suivie comme un feuilleton : articles, dessins,
caricatures et photographies familiarisent les lecteurs avec la violence du conflit. Ils découvrent un paysage
remodelé par la guerre (buttes défensives, tranchées, bombardements) et sont
frappés par le caractère meurtrier de batailles restées célèbres dans la
mémoire collective (Balaklava, Alma, Inkerman, Tchernaïa,
Sébastopol). «Presque mondial»
(Les armées mêlent les nationalités
les plus variées : aux côtés des Russes,
des soldats venus de tout l’Empire, de Serbie, de Bulgarie, de Grèce…; dans l’armée turque, des Tunisiens; chez les alliés,
des Polonais…), le conflit débute
dans les principautés danubiennes de
Moldavie et de Wallachie (actuelle Roumanie), s’étend au Caucase où Turcs et Britanniques encouragent la lutte des peuples musulmans contre la Russie, et gagne, la Crimée. Les
victoires se succéderont, dont celle, le 19 septembre 1854, de la rivière de
l’Alma, qui «efface la défaite de
Waterloo», et où les zouaves
français se distinguent tout particulièrement, le 25 octobre 1854, c’est la
bataille de Balaklava, avec le célèbre épisode sanglant de la «charge de la brigade légère»
britannique, la bataille d’Inkerman le 5 novembre est remportée par
les alliés franco-britanniques, ou
bien encore de celle d’Eupatoria, qui signe un succès des troupes turques le 17 février 1855, au
fil des mois, l’armée russe,
nombreuse mais mal équipée, mal encadrée et techniquement inférieure aux marines française et anglaise en mer baltique, en mer
blanche et sur la côte pacifique de Sibérie, révèle des failles béantes, elle
échoue à briser l’encerclement de Sébastopol à Tchernaïa (le 16 août
1855), et - après onze mois de siège ! — la prise de Sébastopol, le 12
septembre 1855, qui marque la victoire finale, après la prise de la redoute
de Malakoff par le général Mac-Mahon
ne laissant plus d’autre choix aux défenseurs
que de rendre les armes. La guerre a été terrible: les Alliés ont perdu plus de 120 000 hommes, dont 90 000 Français, et les Russes plus de 150 000 hommes. Mais les trois-quarts des morts sont
causés par les maladies, dont le choléra, qui fait des ravages: côté
britannique va émerger la figure ultra-célèbre, outre-Manche, de l'infirmière Florence Nightingale.
.jpg)
Alexandre
II,
qui a succédé à son père en mars 1855, ne veut pas entendre parler de reddition;
mais, sous la pression de l’Autriche et de la Prusse, ses alliés restés neutres pendant le conflit, il finit par consentir à
des négociations qui débutent en janvier 1856, sur la base d’un protocole
préparé par le gouvernement autrichien.
Conclu le 30 mars 1856 dans les salons du quai d’Orsay, le traité de Paris, effaçant les humiliations subies au congrès de Vienne, marque la fin
de l’ordre européen tel qu’établi en
1815, le recul de la Russie et l’éclatant retour de la diplomatie française sur le devant de la scène internationale. La
victoire de la France rétablit sa puissance quarante ans après Waterloo,
confirme le rôle d'arbitre de la Grande-Bretagne et le renouveau turc. Elle
détourne la Russie vaincue vers les steppes asiatiques et nourrit son
nationalisme revanchard. En 1856, la mèche de la poudrière des Balkans
est allumée...
Pour aller plus loin, je vous conseille
ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Alain Gouttman, La Guerre
de Crimée (1853-1856), Perrin, Paris, 2003, et https://www.monde-diplomatique.fr/2003/12/DOLHEM/10965, Orlando Figes, Crimea. The Last Crusade, Allen Lane Penguin Books, 2010, https://www.monde-diplomatique.fr/2022/11/REY/65230, https://laviedesidees.fr/Crimee-une-guerre-de-religion-a-l, et https://www.slate.fr/story/84071/crimee-une-guerre-pour-memoire.
Merci !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire