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dimanche 30 mars 2025

La guerre de Crimée : la guerre presque mondiale

La guerre de Crimée est à la fois la première guerre industrielle et l'occasion d'une redistribution diplomatique en Méditerranée et en Orient.

 

À l’origine du conflit se trouve la querelle entre catholiques et orthodoxes concernant leurs droits réciproques sur les sanctuaires chrétiens de Terre sainte, et plus particulièrement le refus du sultan de reconnaître le Tsar comme protecteur officiel des orthodoxes de l’Empire ottoman; l’occupation des principautés danubiennes par les troupes russes soulève le mécontentement de Londres et Paris. Il faut dire qu’en février 1853, Nicolas 1er dépêche auprès du sultan Abdülmecid 1er le prince Menchikov, lequel exige avec arrogance l’institutionnalisation d’un protectorat russe sur les sujets orthodoxes de l’empire. Devant le refus du sultan, qui ne saurait accepter une telle atteinte à sa souveraineté, l’État russe envahit en juillet les provinces roumaines de Moldavie et de Valachie rattachées à la Porte au motif que les chrétiens orthodoxes y seraient maltraités. Il donne ainsi à son action l’allure d’une croisade religieuse. En réponse, l’Empire ottoman déclare la guerre à la Russie le 4 octobre. Après un premier combat naval victorieux à Pitsounda le 9 novembre, le 30 novembre 1853, l’escadre russe défait la flotte turque dans le port de Sinope et prend le contrôle de la mer Noire au détriment des Ottomans. L’équilibre européen est menacé par l’expansionnisme de la Russie. Tandis que le Tsar qui reste guidé par le souci de consolider sa prédominance dans les Détroits, en s’emparant des Balkans, vise à terme à contrôler des détroits du Bosphore et des Dardanelles, qui barrent l’accès de la Méditerranée à leur flotte de la Mer Noire, s’illusionnait sur le soutien anglais, dès 1854, la Porte est rejointe par la France et la Grande-Bretagne car  Napoléon III cherche à restaurer l’influence française sur la scène européenne et méditerranéenne se rapproche alors de la reine Victoria d’Angleterre qui veut affaiblir la Russie en passe de devenir un inquiétant rival sur le terrain asiatique, avec une opinion russophobe, aiguillonnée par sa sympathie pour la cause polonaise, s’avère active et efficace, et l’année suivante par le Piémont-Sardaigne; l’Autriche adopte une neutralité armée aux côtés des alliés. Ce qui aurait dû être un énième conflit russo-turc se transforme en guerre russo-européenne : champions de l’orthodoxie, les Russes sont choqués par l’union de l’islam avec la chrétienté catholico-protestante. La situation devenant critique pour l’Empire ottoman, France et Angleterre signent, le 12 mars 1854, un traité d’alliance avec ce dernier (en contrepartie duquel la Porte s’engage à promouvoir des réformes). Et, le 27 mars 1854, les deux empires, britannique et français, déclarent la guerre à l’empire tsariste. À l’été 1854, Nicolas 1er décide de retirer ses troupes des principautés danubiennes, signe de bonne volonté. Mais les alliés, méfiants devant cette volte-face, décident de poursuivre l’offensive en débarquant en Crimée le 14 septembre 1854.

 

Alors commence le premier conflit de l’ère industrielle, avec la projection à des milliers de kilomètres de dizaines de milliers de soldats, et l’utilisation d’armes nouvelles (les fusils modernes provoquent des blessures plus graves d’où le grand nombre d’amputations, le cuirassé, l’obus explosif), et les innovations médicales (le docteur Nikolaï Pirogov pratique la première anesthésie sur champ de bataille); bateaux à vapeur, chemins à de fer, télégraphes sont de la partie; la guerre est également source d’innovation journalistique en suscitant les premiers reporters. C’est aussi la première guerre que la photographie va immortaliser. En Grande-Bretagne et en France, la guerre est suivie comme un feuilleton : articles, dessins, caricatures et photographies familiarisent les lecteurs avec la violence du conflit. Ils découvrent un paysage remodelé par la guerre (buttes défensives, tranchées, bombardements) et sont frappés par le caractère meurtrier de batailles restées célèbres dans la mémoire collective (Balaklava, Alma, Inkerman, Tchernaïa, Sébastopol). «Presque mondial» (Les armées mêlent les nationalités les plus variées : aux côtés des Russes, des soldats venus de tout l’Empire, de Serbie, de Bulgarie, de Grèce…; dans l’armée turque, des Tunisiens; chez les alliés, des Polonais…), le conflit débute dans les principautés danubiennes de Moldavie et de Wallachie (actuelle Roumanie), s’étend au Caucase où Turcs et Britanniques encouragent la lutte des peuples musulmans contre la Russie, et gagne, la Crimée. Les victoires se succéderont, dont celle, le 19 septembre 1854, de la rivière de l’Alma, qui «efface la défaite de Waterloo», et où les zouaves français se distinguent tout particulièrement, le 25 octobre 1854, c’est la bataille de Balaklava, avec le célèbre épisode sanglant de la «charge de la brigade légère» britannique, la bataille d’Inkerman le 5 novembre est remportée par les alliés franco-britanniques, ou bien encore de celle d’Eupatoria, qui signe un succès des troupes turques le 17 février 1855, au fil des mois, l’armée russe, nombreuse mais mal équipée, mal encadrée et techniquement inférieure aux marines française et anglaise en mer baltique, en mer blanche et sur la côte pacifique de Sibérie, révèle des failles béantes, elle échoue à briser l’encerclement de Sébastopol à Tchernaïa (le 16 août 1855), et - après onze mois de siège ! — la prise de Sébastopol, le 12 septembre 1855, qui marque la victoire finale, après la prise de la redoute de Malakoff par le général Mac-Mahon ne laissant plus d’autre choix aux défenseurs que de rendre les armes. La guerre a été terrible: les Alliés ont perdu plus de 120 000 hommes, dont 90 000 Français, et les Russes plus de 150 000 hommes. Mais les trois-quarts des morts sont causés par les maladies, dont le choléra, qui fait des ravages: côté britannique va émerger la figure ultra-célèbre, outre-Manche, de l'infirmière Florence Nightingale.

 

Alexandre II, qui a succédé à son père en mars 1855, ne veut pas entendre parler de reddition; mais, sous la pression de l’Autriche et de la Prusse, ses alliés restés neutres pendant le conflit, il finit par consentir à des négociations qui débutent en janvier 1856, sur la base d’un protocole préparé par le gouvernement autrichien. Conclu le 30 mars 1856 dans les salons du quai d’Orsay, le traité de Paris, effaçant les humiliations subies au congrès de Vienne, marque la fin de l’ordre européen tel qu’établi en 1815, le recul de la Russie et l’éclatant retour de la diplomatie française sur le devant de la scène internationale. La victoire de la France rétablit sa puissance quarante ans après Waterloo, confirme le rôle d'arbitre de la Grande-Bretagne et le renouveau turc. Elle détourne la Russie vaincue vers les steppes asiatiques et nourrit son nationalisme revanchard. En 1856, la mèche de la poudrière des Balkans est allumée...

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Alain Gouttman, La Guerre de Crimée (1853-1856), Perrin, Paris, 2003, et https://www.monde-diplomatique.fr/2003/12/DOLHEM/10965, Orlando Figes, Crimea. The Last Crusade, Allen Lane Penguin Books, 2010, https://www.monde-diplomatique.fr/2022/11/REY/65230, https://laviedesidees.fr/Crimee-une-guerre-de-religion-a-l, et https://www.slate.fr/story/84071/crimee-une-guerre-pour-memoire

 

Merci !

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