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mardi 25 février 2025

L’Ukraine, une histoire entre Est et Ouest

La colonisation de la steppe pontique par les cités grecques en passant par les Varègues du grand nord scandinave ayant façonné la puissante Rus’ tournée vers la lointaine et chrétienne Byzance qui commence avec Riourik, qui devient alors le prince de Novgorod, ville au nord de Kiev, et son successeur Oleg le Sage s'empare de Kiev en 882 et l'érige en capitale, les racines de l’Ukraine s’entremêlent et s’enracinent avec celles de cette Europe traversée par une somme de peuples et de cultures, puis en 988, la Rus’ de Kiev se convertit officiellement au christianisme, imitant d’autres régions d’Europe du Nord et de l’Est, à ceci près que le rite adopté était celui, orthodoxe, des Byzantins…, la Rus’ de Kiev faisait partie des puissances de l’an mil. Au XIe siècle, sous les règnes de Vladimir Ier et Iaroslav le Sage, elle est l'État d’Europe le plus étendu, et une princesse kiévienne, Anne, épousa même Henri Ier, roi des Francs, en 1051. 

 

L’empreinte de ce passé ne saurait toutefois se limiter aux siècles les plus anciens. Les problèmes de succession, le morcellement en principautés indépendantes, au cours du XIIe siècle, centrées sur une ville fortifiée dont les principales sont Novgorod, Vladimir, Souzdal et Moscou, bien aidés par la ruine du commerce en direction de Byzance, à la suite de la prise de Constantinople et de la destruction de l’empire par les Croisés en 1204, ont finalement raison de la Rus’ de Kiev, enfin,  les invasions mongoles du XIIIe siècle entraînèrent la chute de la Rus’ de Kiev,, et effectivement comme les autres nations européennes, l’Ukraine est témoin au cours du Grand Siècle et de l’époque moderne de l’avènement des empires. À la fin du XIVe siècle, ses territoires ukrainiens tombèrent dans l’escarcelle du grand-duché de Lituanie qui, dès le deuxième tiers du XIVe siècle, s’étendait de la Baltique aux rivages de la mer Noire, autour de l’actuelle Odessa, et la Pologne qui prend pied dans l'ouest de l'Ukraine en 1340 dont influence ne cesse de croitre, se réunissent en 1569 au sein de la République des Deux Nations, sous ces deux formes, la Lituanie puis la Pologne-Lituanie dominèrent les deux tiers du territoire de l’actuelle Ukraine jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la nation dite «ruthène» se métamorphose à mesure qu’elle prend timidement conscience d’elle-même dans la pluralité de ces systèmes politiques qui lui sont imposés. Depuis la fin du XVIe siècle, dans les territoires ukrainiens de la République des Deux Nations, l’Église orthodoxe, sous l’influence de la Pologne catholique, avait fait partiellement allégeance à Rome et avait permis au catholicisme de progresser dans ces régions. Pendant ce temps, dans le nord de la Rus’ de Kiev, le grand-duché de Moscovie prenait son essor et l’un de ses dirigeants, Ivan III, se proclama "grand-prince de toutes les Russies", étendant ses territoires jusqu’à la Baltique, la mer Blanche, l’Oural et l’Ukraine orientale

 

L’épopée cosaque et ses révoltes multiples au service d’un idéal libertaire défiant la domination polonaise et russe n’en sont que les premières manifestations, les cosaques sont des guerriers redoutés, qui, depuis le XVIe siècle, désireux d’échapper au servage, ont cultivé leur autonomie en bataillant pour le compte des États polono-lituanien ou russe au gré des alliances politico-militaires, parvinrent à soulever en 1648 contre la Pologne et à conserver leur indépendance face aux Russes comme aux Ottomans pendant l’essentiel des XVIIe et XVIIIe siècles s’organisant politiquement pour fonder l’Hetmanat. Ce régime, bien que bref, est considéré par les historiennes et historiens comme le premier État ukrainien, jusqu’à la déposition par les Russes du dernier hetman en 1764. Cependant que la Crimée et le pourtour de la mer d’Azov passaient des mains des Mongols à celles des Turcs ottomans, avant d’être conquise par la Russie dans le dernier quart du XVIIIe siècle. En 1772, la Pologne est dépecée entre les Empires centraux et la Russie. L'Autriche récupère la Galicie, dernière possession polonaise en Ukraine. L'autorité russe s'étend sur le reste de l'Ukraine et sera totale à partir de la fin du siècle. Sous le nom de Nouvelle Russie, la Crimée et la rive nord de la mer Noire jusqu’à la ville de Dniepropetrovsk furent colonisées, principalement par des colons venus de Petite Russie, c’est-à-dire de la moitié nord de l’actuelle Ukraine. De nombreuses villes furent fondées, qui sont aujourd’hui parmi les plus importantes du sud de l’Ukraine : Kherson, Odessa, Melitopol, sans oublier Sébastopol et Simferopol en Crimée.

 

En 1876, avec l'oukase d'Ems, la Russie interdit la langue et la culture ukrainienne. L’essor du nationalisme au cours de la fin du XIXe et du début du XXe représentera avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale une occasion inespérée pour accomplir le dessein d’indépendance ukrainienne. L’Ukraine accompagne et participe ainsi la chute des empires séculiers en 1917, mais manque de peu la réalisation plénière de son indépendance à la différence des autres nations d’Europe centre-orientale puisqu’en 1920 la Renaissance est exécutée, menant à une persécution massive et à l’exécution de figures culturelles ukrainiennes par le régime soviétique avec la conquête totale du pays par l'armée rouge de Lénine, le nouveau maître de la Russie en 1921. En 1932, l’Union soviétique met en place l’Holodomor, un génocide du peuple ukrainien qui fait quatre millions de morts à travers le pays, car décidé à mettre au pas la paysannerie ukrainienne et à accélérer la collectivisation, Staline a orchestré ces vastes famines. Le traumatisme de ces persécutions fit voir à bon nombre d’Ukrainiens l’arrivée des Allemands en 1941 comme une libération : avant même la pénétration des troupes allemandes sur le territoire, le chef des nationalistes ukrainiens, Stepan Bandera, proclama l’indépendance de l’Ukraine à Lviv, mais il fut rapidement arrêté par les envahisseurs. Les nationalistes ukrainiens formèrent donc une armée de guérilla, qui se battit à la fois contre la Wehrmacht, puis après la guerre contre l’armée soviétique, à laquelle elle résista jusqu’en 1954. Cette année-là, pour fêter le tricentenaire de l’Hetmanat cosaque, Khrouchtchev rattacha la Crimée, très majoritairement russophone, à la République socialiste soviétique d’Ukraine, laquelle donna dix ans plus tard son seul dirigeant ukrainien à l’URSS : Leonid Brejnev. En 1960, se met en place le Mouvement des Soixante, un mouvement de dissidence culturelle et politique ukrainienne. L'Ukraine, n'est devenue véritablement indépendante qu'en 1991.

 

Tout comme en Russie, l’effondrement du communisme provoqua en Ukraine des désordres économiques et, sinon une montée de la corruption, du moins sa privatisation, avec l’apparition d’oligarques perpétuant dans le nouveau contexte les luttes qui se tenaient jadis au sein de l’appareil soviétique. L’Ukraine persévéra dans son ambition démocratique, naturellement fragilisée par ce phénomène persistant. Puis en 2004, vient la révolution orange qui permit à Victor Iouchtchenko, soutenu par l’Ouest, de remporter l’élection présidentielle après avoir obtenu l’annulation du premier scrutin remporté par Viktor Ianoukovitch. Mais la persistance des problèmes de corruption, ainsi que les difficultés économiques issues de la crise de 2008, provoquèrent sa défaite écrasante lors de l’élection de 2010, remportée cette fois par Ianoukovitch. En dépit de l’hostilité occidentale pour le candidat fraudeur de 2004, des négociations furent engagées en vue d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, mais Ianoukovitch décida finalement de ne pas signer l’accord d’association. Cette décision, qui doucha les espoirs des Ukrainiens espérant le rapprochement avec l’Europe. En 2014, c’est la révolution de Maïdan, qui amorce une rupture franche avec le "grand frère" russe pour se rapprocher de l'Union européenne après des manifestations accusant Ianoukovitch de corruption et de gouverner dans l’intérêt de la Russie, dont la répression ne fit qu’accroître le mécontentement et grossir les manifestations à Kiev et ailleurs dans le pays, débouchant sur la fuite de Ianoukovitch en Russie. En 2014, c’est le début de la guerre d'annexion de la Crimée, et les Russes ont occupé des parties des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk, et en 2022, c’est l’invasion à grande échelle du pays car le président russe Vladimir Poutine voulait en finir rapidement avec l'État ukrainien. Or, ce souhait s'est heurté à une résistance ukrainienne organisée et financée par l'Occident.

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Serhii Plokhy, Aux portes de l'Europe : Histoire de l’Ukraine, Gallimard, 2022, https://laviedesidees.fr/Le-destin-europeen-de-l-Ukraine, et https://www.revue-etudes.com/critiques-de-livres/aux-portes-de-l-europe-serhii-plokhy/26210, Mariam Naiem, Yulia Vus, et Ivan Kypibida, Ukraine petite histoire d'une longue guerre avec la Russie du Moyen-Âge à nos jours, Robinson, 2025 (BD), et https://www.ledauphine.com/culture-loisirs/2025/02/21/ukraine,  https://www.geo.fr/histoire/rus-de-kiev-la-conquete-de-l-est-220610, https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/epoque-contemporaine/lhistoire-de-lukraine-un-si-long-chemin-vers-lindependance-81247.php, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/03/les-cosaques-ces-combattants-fondateurs-de-l-ukraine_6128755_3232.html, https://www.lexpress.fr/monde/europe/dix-dates-pour-comprendre-l-histoire-de-l-ukraine_2178167.html, https://www.lhistoire.fr/pi%C3%A8ces-%C3%A0-conviction/l%E2%80%99ukraine-est-elle-russe%C2%A0, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/les-cosaques-d-ukraine-face-aux-empires-6624164, et https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/la-rus-de-kiev-chronique-des-temps-passes-7391706.

 

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