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vendredi 28 février 2025

Gaston Lagaffe, un gaffeur qui a la vie longue

Créée par le grand André Franquin le 28 février 1957 dans les pages de Spirou, Gaston Lagaffe est une série incontournable de la BD. En 1957, Franquin a l’idée d’un anti-héros perturbateur et gaffeur et soumet l’idée au rédacteur en chef de Spirou. Yvan Delporte adore l’idée et lui suggère même de l’appeler "Gaston" d’après un de ses amis qui ressemble au nouveau personnage. Delporte s'inspire d'un copain à lui, Gaston Mostraet, un jeune chimiste un peu dingue qu'il connaissait depuis une dizaine d'années. L'autre modèle pour le personnage de Lagaffe, ce fut Delporte lui-même. Gaston lui doit beaucoup, notamment dans la silhouette voûtée. Il portait un duffel-coat, et quand il allait au marché, il glissait ses légumes dans sa capuche. Il a aussi fait des expériences au bureau de la rédaction, vidant des tubes de colle et y mettant le feu pour voir si c'était vraiment inflammable! Il possédait aussi un vrai lion, avec lequel il se baladait dans Bruxelles comme si c'était un chien, et qu'il emmenait au bureau. Farfelu comme Gaston, c'est Delporte. Delporte laisse carte blanche à Franquin, déjà admiré et reconnu pour son travail : Spirou, Marsupilami, Modeste et Pompon… Et c’est justement cette liberté de dessin et de ton que recherchait Franquin, lassé de dessiner un Spirou inventé par un autre. On voit alors un jeune grand à cheveux courts, chemise et pantalon repassés ainsi qu'une veste et des mocassins qui n’a pas encore de nom, les lecteurs le retrouvent la semaine suivante les mais dans les poches et la chemise ouverte, et il portera le nom Gaston le 28 mars 1957, puis au numéro suivant, il s'allume une cigarette assis sur une chaise et adopte enfin son pull vert à col roulé et son jeans, puis dans sa sixième apparition, l'inconnu articule enfin quelques mots, où il est enfin considéré comme un personnage de la rédaction Spirou, enfin, dans le n°991, Gaston commence enfin carrière de gaffeur. Cependant, on prédisait à Franquin un échec assuré avec ce personnage surgi de nulle part, sans fonction, anti-héros par nature. Une belle erreur. Présente-t-on Gaston Lagaffe ? Ce personnage rêveur et inventif, aux trouvailles aussi inattendues que catastrophiques, est l'un des plus fameux de toute la bande dessinée. Qu'il se mêle d'améliorer la vie de bureau, de s'occuper d'un chat ou d'une mouette, d'inventer des instruments de musique ou de perfectionner sa voiture, Gaston déclenche immanquablement explosions, incendies et désastres, pour la plus grande joie de lecteurs écroulés de rire.

 

Celui qu’on surnomme de nos jours «le héros sans emploi» avait déjà une fonction : combler de façon ludique les vides laissés par les aléas de la mise en page. Et, de gaffe en gaffe, il prit du galon, de l’ampleur, dans les pages du journal et dans l’esprit de son créateur. Franquin qui, dans les premières années, dessinait à quatre mains avec Jidéhem, se prit au jeu de l’identification pour développer un personnage à contrepied des héros de la BD franco-belge ou des personnages de comics et cartoons des lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Jugé marginal dès ses premiers pas, Gaston remettait nonchalamment en question la notion même de hiérarchie ou de contrainte. Contrairement à Lucky Luck ou Buck Dany, destinés à vivre de multiples aventures. Il faut dire qu’avec son vieux pull vert, son air endormi et son absence totale du sens des responsabilités, Gaston ne possède ni les codes ni les qualités du héros classique de l’époque. Le premier emploi de Gaston fut d'illustrer par surprise les pages trop sages, de faire exploser les rubriques traditionnelles et de semer la pagaille dans les coulisses d'un journal subitement dévoilées au lecteur. Il travaille au départ avec son supérieur Fantasio, un des héros de Spirou et Fantasio au caractère bien trempé et qui, malgré son attachement pour Gaston, s'agace de le voir fainéanter. Le «héros sans emploi» devient «garçon de bureau» et accède à la bande dessinée après neuf mois d'illustrations et de trouvailles plus drôles les unes que les autres. Jidéhem réalise les décors jusqu'en 1968. Il s'agit pour l'instant de gags en deux bandes placées en bas de page. Pourtant, moins d’une année après sa première apparition, le journal décide de lui donner une série propre. Après une première apparition en nœud papillon, le personnage se transforme sous l’influence du mouvement beatnik, populaire au milieu des années 1950. Physiquement déjà, on retrouve chez cet employé l’absence de cravate, les cheveux en bataille, le blue jean et son fameux col roulé. Gaston est aussi un écolo, protecteur des animaux qui sauve la dinde de Noël, le homard d’un restaurant et quelques chatons à l’occasion. L'illustre gaffeur a aussi  introduit quelques animaux peu habituels à la rédaction, dont une vache et un cheval, mais leur présence était brève. Et comme chez les beatniks, Gaston remet en cause le travail, l’ordre établi et surtout les policiers, bien loin de l’image des héros justiciers de son époque. En 1959, Gaston vit désormais ses gags sous la forme de demi-planches. Et, en 1960, le premier album est publié. 21 tomes et des centaines de gaffes plus tard, Gaston figure au rang des plus emblématiques des personnages de la bande-dessinée franco-belge.

 

Après 412 gags en demi-planches, Gaston passe en pleine page en 1966. En 1968, Franquin délègue le dessin de ses autres personnages pour se consacrer pleinement à "son fils spirituel”. Il multiplie les inventions de Gaston, et se crée des dossiers documentaires et graphiques pour les rendre le plus réaliste possible. À la place de son  travail de bureau, Gaston accomplit un travail gigantesque de bricolage. Finalement, c’est un grand travailleur. Mais il ne fait pas le travail qu’on attend de lui. Travailleur malgré lui, Gaston passe son temps à imaginer, créer et inventer toute sorte de machines, pour ne plus travailler, pour faire de la musique, pour tondre sans couper les pâquerettes, pour cuisiner… Prunelle a repris le rôle de Fantasio, mais d'une façon plus grimaçante, plus grinçante, parce que c'est un personnage plus nerveux, plus torturé. Auxquels s’ajoutent  le dessinateur Lebrac, le comptable Monsieur Boulier, l'employée Mademoiselle Jeanne et Monsieur De Mesmaeker et ses contrats font leur apparition. Avec la période Prunelle, Franquin fait sortir Gaston plus régulièrement de l'univers de la rédaction. La Fiat 509 jaune à damier, l'agent Longtarin, la nature, la vie urbaine et la musique animent les gags. Gaston se fait aussi de vrais copains: Jules-de-chez-Smith-en-face et Bertrand Labévue. Et, alors que la jeunesse criait «Il est interdit d’interdire !», Gaston continuait de résister aux militaires, aux patrons et aux bourgeois de tous poils. Au point que les éditions Dupuis reçurent, quelques jours avant les émeutes parisiennes, un courrier des autorités leur demandant de contenir les élans anti-flics de Franquin. Rien n’arrêta Gaston ni son créateur dans ce cheminement doucement subversif. L’un et l’autre ne faisaient plus qu’un depuis longtemps, et à mesure que l’homme s’horrifiait devant les scandales humanitaires qui sévissaient dans les années 1970, Gaston hurlait sa colère, son besoin de paix et de rêve. Et, tandis que la société restait sourde à ses suppliques, Franquin se laissait aller à des idées noires, de plus en plus noires, et Gaston devenait grave, de plus en plus grave. Le dessinateur mit alors son crayon au service de Greenpeace, de l’Unicef, d’Amnesty International, pour lesquelles Gaston s’engagea. Face à la violence du monde, il lui restait cela à faire : militer. Dans les années 70, Gaston installe dans la rédaction une souris grise, Cheese, un poisson rouge, Bubulle, un chat (inspiré de César, le félin de sa fille) et une mouette rieuse. Les deux derniers deviennent le moteur de nombreux gags et apportent un souffle de fantaisie et de dynamisme. En 1971, Franquin multiplie les inventions de Gaston. L'année 1975 marque la disparition presque complète de nouveaux gags de Gaston dans Spirou. Hormis la planche 821, en janvier 1975, tous les autres numéros ne contiennent que des rééditions "Le coin des classiques". En 1976, 1976, Dupuis crée une nouvelle collection destinée à reprendre les vieux classiques des séries phares de la maison. Franquin et son Spirou ouvrent le bal avec deux albums pleins des premières aventures des personnages inédites en album. Les couvertures sont inédites également, et c'est Gaston qui assure l'animation entre les différentes aventures. En 1978, La publication dans Spirou des rééditions "Le coin des classiques" commence à s'essouffler. Franquin arrive à produire 6 gags de Gaston à paraître en 1978... L'éditeur sort un album "fonds de tiroir" mélangeant des planches inédites de Gaston et du Marsupilami... Et en 1979, une vingtaine de gags de Gaston paraît dans le journal de Spirou... Seulement.

 

En 1981, un jeune réalisateur de 22 ans, Paul Boujenah, tentait l’impossible : adapter sur grand écran Gaston Lagaffe. Avec un bémol : si Franquin soutient le projet, il refuse que le nom de ses personnages soit utilisés. C'est pour cette raison que les noms de ces derniers ont été changés : Gaston s'appelle "G", Prunelle "Prunus" (Daniel Prévost), Mademoiselle Jeanne "Pénélope" (Marie-Anne Chazel) et M. De Mesmaeker "Mercantilos" (Marco Perrin). Par ailleurs, une certaine Lorraine Bracco est au casting de Fais gaffe à la gaffe ! (dans le rôle de Margaux, la secrétaire). Malgré un certain succès à l’époque, le film a depuis disparu. Il ne reste plus que quelques images sur Google et une version pirate du film sur YouTube. Plus personne ne parle de ce film. Personne n’en connaît l’histoire. Dans cette comédie librement adaptée de la bande-dessinée d'André Franquin, dans lequel "G", un employé gaffeur qui se fait renvoyer du magasin où il travaille par son chef Prunus. Dans la foulée, il fait la rencontre du grand éditeur Dumoulin suite à un accident de voiture. Ce dernier lui offre un emploi pour qu'il puisse rembourser les dégâts causés à son véhicule. "G" devient alors l'homme à tout faire de l'entreprise...  En 1983, c’est l'hommage rendu par une foule de dessinateurs à Gaston Lagaffe et André Franquin... Il s'agit de l'album parodique La ballade des Baffes qui vient prendre la place du numéro cinq mythique dans la collection des albums de BASTON... Franquin après une dépression de 2 ans, reprend la plume et le pinceau en 1984, pour dessiner Gaston... Et en 1985, une grande partie du matériel jamais publié en album est regroupé dans un recueil Gaston qui portera le numéro zéro. Tout simplement parce qu'il s'agit des tous premiers dessins parus dans Spirou... Puis en 1986, l'intégrale de Gaston éditée par les éditions Rombaldi a fait ressortir beaucoup de trésors... En 1987, Gaston a 30 ans et numéro 2560 du journal de Spirou (mai 1987) fête cet événement avec la parution du Journal de Gaston. Et en 1989, Gaston deviendra un héros de série télévisée à l'occasion d'une émission réalisée par RTL, Antenne 2 et TVI : Merci Gaston ! Peu de gens s'en souviennent, et cela n'a pas laissé de traces... Le 25 juin 1991, dans le numéro 2776 du journal de Spirou, paraît la planche 909 de Gaston Lagaffe... Ce sera la dernière à être publiée dans Spirou... la planche 910 qui constitue l'ultime planche de Gaston Lagaffe restera inachevée... En 1992, Gaston ne paraît plus, mais les éditions Dupuis éditent un très bel ouvrage qui reprend les meilleures signatures animées de Franquin pour Gaston... Franquin cède ses droits à Marsu Productions, avec ceux des Monstres et des Idées noires. Le 21e et dernier album publié par Franquin, Gaffe à Lagaffe, date de 1996. Le lancement s'était fait à 900 000 exemplaires à l'époque. Il est constitué de dessins non repris dans les albums Dupuis, et de planches réalisées par Franquin en dehors de Spirou. En 1997, Franquin meurt  l'année du quarantième anniversaire de Gaston Lagaffe.

 

En 1997, pour le 40e anniversaire de Gaston, les éditions Dupuis décident de sortir l'intégrale de Gaston dans l'ordre chronologique en 18 albums numérotés de 1 à 17 chez Dupuis et le 18e chez Marsu Productions. En 1998, cette série est rééditée avec une nouvelle mise en couleur réalisée par Jidéhem et le Studio Leonardo. Un volume supplémentaire, le tome 19, s'ajoute à la série. Il comprend des gags dessinés pour des occasions spéciales (publicitaires) et les tout derniers gags de Franquin, y compris une planche inachevée retrouvée après sa mort. Ce tome 19 peut être considéré comme le 16e album de la série précédente. En novembre 2009, ces albums retrouvent des titres et des couvertures de Franquin. À la suite du rachat de Marsu Productions par Dupuis en mars 2013, les rééditions des tomes 18 et 19 depuis décembre 2013 sont publiées par Dupuis, comme pour les tomes 1 à 17. En 2017, le Centre Pompidou consacrait une exposition à la Bibliothèque publique d'information en 2017 à l’occasion des 60 ans de  Gaston Lagaffe. En 2018, les éditions Dupuis décident de ressortir une nouvelle intégrale de Gaston en 22 albums allant de 0 à 21, avec une nouvelle colorisation par Frédéric Jannin. Cette série a la particularité de reprendre l'intégralité des gags de Gaston en planches, dessins et textes classés par ordre chronologique de publication dans le journal Spirou (et non par album d'origine), accompagnés de gags inédits non parus en albums. Le personnage a fait l'objet d'une nouvelle adaptation au cinéma en 2018 par Pierre-François Martin-Laval, Gaston Lagaffe, qui avait fortement déplu à la fille de Franquin, Isabelle. "J'assiste impuissante au désastre", avait-elle dit au quotidien belge L'Avenir. L'échec du film provient sans doute de la structure particulière de la bande dessinée créée en 1957 : une succession de sketchs, difficilement transposable au cinéma. Enfin, fin 2023 paraissait le tome 22 de ses déboires, confié au scénariste et dessinateur québécois Delaf. Pendant de longs mois, l'ouvrage a été bloqué par un imbroglio judiciaire opposant les éditions Dupuis à Isabelle Franquin, ayant droit et fille du génial dessinateur des Idées noires, disparu en 1997. Celle-ci avait demandé d'arrêter le projet arguant que son père avait "toujours exprimé de son vivant, de manière continue et répétée, sa volonté que Gaston ne lui survive pas sous le crayon d'un autre dessinateur". Pour trancher le différend, les éditions Dupuis et Isabelle Franquin avaient opté pour un arbitrage privé. Un avocat de Bruxelles avait conclu en mai 2023 que Gaston Lagaffe pouvait renaître "à condition de solliciter l'approbation préalable d'Isabelle Franquin". Du point de vue de l'ayant droit, "tout refus (...) doit être justifié par des motifs éthiques ou artistiques", précisait l'arbitre. L'album, imprimé à plus de 800 000 exemplaires, respecte très scrupuleusement l'esprit de Franquin. "Je voulais que ce soit un vrai témoignage d'amour d'un auteur à un autre", explique Delaf. "C'était important de mettre en avant Franquin. C'était un album pour être au plus près de ce qu'il faisait à l'époque. Je n'avais pas envie de tirer Gaston à moi."

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : https://gaston-lagaffe.fandom.com/wiki/Gaston_Lagaffe_(personnage), https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18692043.html, https://www.bfmtv.com/people/bandes-dessinees/bataille-judiciaire-pages-jetees-pression-des-fans-le-retour-mouvemente-de-gaston-lagaffe_AN-202311220159.html, https://www.bfmtv.com/podcasts/comedies-club/fais-gaffe-a-la-gaffe-la-premiere-adaptation-oubliee-de-gaston-lagaffe_EN-202207250584.html, https://www.centrepompidou.fr/en/magazine/article/gaston-un-rebelle-en-espadrilles, https://www.dupuis.com/gaston/bd/gaston-les-archives-de-la-gaffe/77024, https://www.francetvinfo.fr/culture/bd/gaston-lagaffe-fait-son-retour-25-ans-apres-la-mort-de-son-createur-franquin_5021471.html, http://www.franquin.com/bio/index_bio.php, https://www.gastonlagaffe.com/franquin-biographie.html, https://www.radiofrance.fr/franceculture/gaston-lagaffe-un-genie-incompris-2974651, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/culture-bd/gaston-lagaffe-un-antiheros-de-genie-5773854, et https://www.tdg.ch/gaston-au-sommet-de-la-gaffe-depuis-1957-287044550945.

 

Merci !

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