Amis

jeudi 16 janvier 2025

Ivan IV, dit le Terrible, le premier tsar de Russie

Premier tsar de Russie, Ivan IV Vassilievitch, dit le Terrible (1530-1584) est le personnage noir par excellence, et pourtant bien aimé, de l’histoire russe. Infanticide, tyrannique et paranoïaque, il incarne néanmoins la figure paternelle du souverain, proche du peuple, face aux ennemis et aux abus des puissants.

 

Héritier du trône de Moscou, orphelin de père à trois ans, de mère à huit, il montre des penchants pervers dès l’enfance, laquelle est rythmée par de violentes révolutions de palais. Il décide de régner dès l'âge de seize ans, et il est sacré à Moscou en 1547, reprenant le titre de tsar, qui désignait autrefois les empereurs byzantins et les khans mongols. Selon lui, Moscou sera la troisième Rome, centre de la puissance et de la chrétienté après Rome et Constantinople, deux empires disparus. On voit alors l’émergence d’une Russie entre Orient et Occident, en situation d’infériorité par rapport aux puissances régionales que sont la Suède ou la Pologne. Jeune adulte, guidé par de bons conseillers, il fait figure de prince éclairé. Il entreprend aussitôt de réorganiser l'État  en réformant la justice, l'armée, l'administration, mais aussi la fiscalité de la Russie du XVIe siècle, et l'Église orthodoxe et ses ferments populaires qui en font une actrice majeur dans la construction nationale, et tente de réduire le pouvoir des boyards (nobles), et des gouverneurs de province au profit d'une nouvelle élite russe issue de la petite noblesse. En quelques années, il instaure un code de lois, réforme le clergé et réorganise l’armée. La période glorieuse du règne semble combler toutes les attentes, marquée par les premières conquêtes agrandissant le territoire de la Russie en guerroyant contre ses voisins s’emparant de Kazan et de la basse Volga jusqu’à Astrakhan en 1552 ce qui ne se fait pas sans violences, et il explore aussi la Sibérie, en laissant les marchands anglais établir des comptoirs à Arkhangelsk et à Moscou, il brise la barrière, maintenue depuis trois siècles par la Pologne et la Hanse, entre la Russie et l'Europe occidentale, et fait bâtir la cathédrale Basile-le-Bienheureux à Moscou, même si la répression et la suspicion sont déjà présentes dans les années 1558-1564, marquées par des défaites dans la guerre contre la Livonie et par la mort de la première épouse du tsar (six autres mariages suivront) en 1560 sont déjà à l’origine d’un cycle répressif de grande ampleur. Marié huit fois, il fait noyer une de ses femmes le lendemain du mariage, car elle n'est pas vierge. Une autre est accusée de complot et envoyée dans un monastère et sa famille est exécutée. Une autre, infidèle, doit regarder son amant se faire empaler, puis finit ses jours dans un couvent.

 

Mais les revers de fortune ne tardent pas. Soucieux de s'ouvrir un accès vers l'Ouest, il va se heurter à ses voisins occidentaux. Aux difficultés extérieures avec la poursuite sans succès de guerres ruineuses, viennent s'ajouter des problèmes intérieurs et en particulier l'hostilité des boyards. La conquête de la Sibérie ne peut occulter les autres revers : aux défaites qui se sont accumulées et qui conduisent à la perte de Polotsk et de tous les territoires livoniens, s’ajoute une crise économique dont les paysans commenceront à être les victimes. Pour y faire face, Ivan met alors son pays à feu et à sang et entreprend une politique de répression impitoyable qui lui vaudra son surnom avec l’«opritchnina», ce «domaine réservé» qui, institué au lendemain de la pseudo renonciation  du tsar au trône en décembre 1564 et du brutal revirement qui s’ensuit en janvier 1565, a servi de cadre privilégié à l’instauration d’un véritable régime de terreur à l’encontre des élites laïques comme religieuses : exécution de milliers d'opposants, il donne alors libre cours à ses mœurs violentes et licencieuses. Destruction de villes rebelles comme celle de Novgorod en 1570, et massacres qui finissent avec le sacrifice des hommes de l’opritchnina en 1572 sur l’autel de la repentance du tsar et de l’unité du pays qu’il s’agissait de reconstituer après cinq années de chaos, et sanglants coups de théâtre, dont le plus fameux est l’assassinat de son fils dans un accès de colère en 1581 tandis que s’installe la pratique des «années interdites», qui, en empêchant les paysans de se déplacer librement, préfigure la mise en place du servage, ponctuent les vingt dernières années de sa vie, laissant le trône à un enfant, Fédor 1er. À la fin de sa vie, lors d’un moment de repentir, Ivan IV a fait dresser une liste de ceux qu'il a fait tuer. Les noms de 7000 personnes y sont mentionnées. Il y’en a sûrement bien plus puisque le document se conclut par l'inscription "et puis les autres". Ce règne de violence va s'achever par la mort du tsar et l'ouverture d'une période d'anarchie et d'instabilité, qui ne se terminera qu'à l'avènement de Michel Romanov, en 1613.

 

Pendant des décennies, peut-être des siècles, la simple évocation du nom d'Ivan IV le Terrible fichait la chair de poule à n'importe qui. Il n'y a qu'à l'époque soviétique qu'Ivan le Terrible va finalement être réhabilité grâce à un film. Un biopic est réalisé par le cinéaste Sergueï Eisenstein, le favori de Joseph Staline. Le tournage d’Ivan le Terrible par Eisenstein permet d’évoquer les traits du tyran éponyme et du dictateur Staline. Le tournage débute en 1942 et prend fin en 1944. En janvier de l’année suivante Staline accepte le film. Ce n’est cependant pas le cas de la deuxième partie qui dresse un portrait trop sombre et torturé à son goût. Le film est rejeté en 1947, le troisième volet ne verra pas le jour. Un an plus tard le réalisateur meurt. Il faut attendre l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir pour que la bobine soit enfin diffusée. En 1958 il rencontre un succès lors des séances proposées par la Cinémathèque de Paris.

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Stephen Graham (II), Ivan le Terrible : Le premier tsar, 1530-1584, Payot et Rivages, 1980, Henry Vallotton, Ivan le Terrible, Marabout, 1984, Jean Tulard, Tyrans, assassins et conspirateurs. Le pouvoir du mal, Éditions SPM, 2019, et https://clio-cr.clionautes.org/tyrans-assassins-et-conspirateurs-le-pouvoir-du-mal.html, Pierre Gonneau, Histoire de la Russie d’Ivan le Terrible à Nicolas II : 1547-1917, Tallandier, 2016, et https://journals.openedition.org/res/1253, et Ivan le Terrible ou le métier de tyran, Tallandier, 2023, https://www.caminteresse.fr/histoire/russie-le-tsar-ivan-le-terrible-tuait-il-vraiment-pour-le-plaisir-11197831/, et https://journals.openedition.org/res/387, https://www.geo.fr/histoire/qui-etait-ivan-le-terrible-premier-tsar-de-russie-222065, https://www.rtbf.be/article/ivan-le-terrible-de-prince-de-moscou-a-tsar-sanglant-de-l-empire-russe-11490379, https://www.rtl.fr/culture/culture-generale/pourquoi-ivan-iv-premier-tsar-de-russie-etait-il-surnomme-le-terrible-7900433774, et https://www.universalis.fr/encyclopedie/ivan-iv-le-terrible/2-une-epoque-heureuse/

  

Merci !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'allons nous voir ici ?

Ce blog s'intéressera avant tout à la question de l'historicité du roi Arthur durant les Dark Ages, une période de grands changeme...