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dimanche 31 août 2025

Jack l’éventreur au Portugal : l’intérêt pour l’affaire et le phénomène culturel

La seconde moitié de l'année 1888 vit le déroulement d'une série d'événements liés à la célèbre affaire de «Jack l'Éventreur», surnom d'un énigmatique tueur en série du XIXe siècle dont les crimes furent commis à Londres. S'il n'était pas le premier tueur en série, «Jack l'Éventreur» fut cependant le premier à marquer l'histoire. Cette affaire horrible et macabre fut largement médiatisée, non seulement en Angleterre, mais aussi au Portugal. 

 

Le 31 août 1888, le mythe naissait dans une ruelle londonienne. Mary Ann Nichols qui après avoir porté cinq enfants, elle avait fini par renoncer à ce mariage en raison d'un mari qu'elle soupçonnait d'infidélité, et au crépuscule de sa vie, elle avait fait de l'alcool sa compagne et son poison, fut sa première victime. Cette dernière fut retrouvée morte, la gorge tranchée et le ventre ouvert, sur Buck's Row, à Whitechapel, dans l'East End londonien par Charles Cross. Whitechapel était un terreau fertile pour les mauvaises actions. Dans les années 1880, le quartier souffrait de surpopulation, de pauvreté, de toxicomanie, de gangsters, de mendiants, d'ivrognes et de plus d'un millier de prostituées souvent occasionnelles rien que dans ce quartier. Y cohabitent aussi des réfugiés russes, Juifs réchappés des pogroms d’Europe de l’Est, des immigrants irlandais et la classe ouvrière londonienne. Alcoolisme, vols, violence sont le quotidien de ce sous-prolétariat qui se révolte, notamment en novembre 1887. Les agressions contre les femmes, en particulier les travailleuses du sexe, étaient fréquentes. Le meurtre de prostituées était aussi assez courant dans la région, et le meurtre de Mary Ann Nichols n'a pas suscité beaucoup d'attention au départ. Les experts pensent que Martha Tabran, tuée trois semaines plus tôt, était également une victime de Jack. Début septembre 1888, la grande majorité des publications portugaises accordaient peu d'importance à cette nouvelle. Cependant, elles commencèrent progressivement à lui accorder une couverture médiatique de premier plan, accompagnée de reportages de plus en plus détaillés sur les crimes commis dans la capitale anglaise. Les sources d'information des journalistes portugais étaient, dans la plupart des cas, la presse britannique elle-même, l'agence Havas, et même des correspondants à Londres ou à Paris. C’est le meurtre d’Annie Chapman le 8 septembre 1888 qui va éveiller l’intérêt de la presse portugaise à partir du 10 septembre. La découverte du corps de cette dernière qui s'était octroyé une place de choix au sein de la classe ouvrière, mais son goût pour l'alcool et la perte de ses enfants ont détruit sa vie de famille et Annie a fini ses jours dans l'East End, et il a accru la panique à Londres, ses blessures faisant écho à la brutalité choquante du meurtre de Polly Nichols, survenu quelques jours plus tôt. Annie Chapman a été égorgée deux fois. Mais cette fois, l'assassin a sorti les intestins pour les étaler sur l'épaule gauche et il manque le vagin, l'utérus et la vessie de la victime, ce qui a renforcé la théorie que le tueur avait des connaissances médicales. Le matin même où Annie Chapman fut retrouvée morte, des voisins organisèrent des visites guidées à un sou pour observer la scène du crime depuis leurs fenêtres. Les enquêteurs ont compris que le même tueur avait dû commettre les deux crimes, et qu'il était toujours en liberté. Même l'idée saugrenue d'un photographe le 13 septembre a été prise au sérieux. Il a proposé de photographier les yeux d'Annie Chapman : il serait possible de reconnaître le tueur grâce à l'image gravée sur sa rétine. L’enquête, il est vrai, peine à progresser. Elle est d’abord confiée au détective Edmund Reid, responsable de la police municipale de Whitechapel. Mais il est vite secondé par des enquêteurs du Central Office de Scotland Yard, dirigés par Frederick Abberline, puis par Charles Warren. La couverture médiatique des meurtres de Whitechapel a atteint son paroxysme. Les journaux londoniens oscillaient entre faits et fiction, racontant avec enthousiasme chaque détail macabre des crimes et spéculant sans cesse sur l'identité du tueur. Ceux qui souffrirent le plus de la révolte furent les immigrants, considérés comme responsables de la dégradation des mœurs et de l'appauvrissement général. Une grande partie de la population croyait que de tels crimes horribles ne pouvaient être commis que par des fous ou des étrangers, voire les deux. Pauvres et nombreux à Whitechapel, les Juifs furent les premiers suspects. Plus encore le 4 septembre, lorsque les premiers articles de presse sur un homme nommé «Tablier de cuir» apparaissent. Après la mort d'Annie, les habitants organisèrent des manifestations, menaçant et insultant les Juifs, qui passèrent des journées entières avec leurs magasins fermés et évitant la rue. Le suspect habituel des enquêteurs était un médecin ou un barbier (des professionnels habiles au couteau) résidant à Whitechapel (capables de se faufiler dans les rues sombres sans se faire remarquer), célibataire et exerçant un emploi stable (la plupart des crimes se produisaient aux premières heures des vacances ou des week-ends). Si, en plus, il était étranger ou souffrait de troubles mentaux, les enquêteurs étaient déjà sur ses traces. Durant les mois de septembre et d’octobre 1888, les policiers sillonnent les bouges et les asiles de nuit de l’East End, distribuent des milliers de prospectus et d’appels à témoignage. Mais, ils ne sont pas aidés par Samuel Montagu qui offre le 10 septembre une récompense de 100 £ pour la capture du meurtrier. M. George Lusk, avec plusieurs autres hommes d'affaires locaux, fonde le aussi Mile End Vigilance Committee, dans l'espoir d'aider la police dans ses efforts pour attraper le meurtrier. Le Comité de vigilance de Whitechapel envoie une lettre au ministère de l'Intérieur le 16 septembre demandant qu'une récompense lui soit officiellement offerte. La demande est rejetée. L’intrusion de la presse est telle que le commissaire de police, Sir Charles Warren s’en plaint le 18 septembre.

 

On peut affirmer que durant la première quinzaine d'octobre, les quotidiens qui ont le plus couvert l'affaire, outre Novidades, étaient O Primeiro de Janeiro, Jornal de Notícias et O Século. C’est sans doute le double meurtre du 30 septembre qui a aidé cette augmentation. Ce fut d’abord Elizabeth Stride qui a vécu plusieurs vies avant de se marier et de devenir propriétaire d'un café, tuée en début de soirée. Une personne entendit ses cris mais s'enfuit, terrorisée. La présence de Louis Diemschutz surprit cependant le tueur, qui n'eut pas le temps d'achever son rituel de mutilation. Elizabeth ne subit qu'une coupure de dix centimètres à la gorge et mourut dans une mare de sang. Le crime interrompu n'a pas étanché la soif meurtrière de Jack. Quelques minutes après la mort d'Elizabeth, Catherine Eddowes, qui a passé la majorité de sa vie d'adulte avec un seul homme, le père de ses enfants, elle venait tout juste de rentrer à Londres après être allée récolter le houblon dans le Kent, un rituel estival populaire au sein de la classe ouvrière de Londres, elle a été retrouvée la gorge tranchée, le ventre et le visage mutilés, avec un rein, une oreille et des ovaires manquants. De plus, une petite note était accrochée sur un mur voisin : «Les Juifs ne sont coupables de rien.» Pour éviter une nouvelle attaque contre les Juifs, le message a été effacé avant l'arrivée des photographes. Cependant, le maire offre le 1er octobre une récompense de 500 £, et Sir Alfred Kirby offre une récompense de 100 £ et 50 miliciens pour aider à appréhender le criminel qui est refusée. Après le double homicide, un autre élément qui a contribué à semer la confusion chez la police et à semer la peur a été la publication dans la presse londonienne de lettres prétendument écrites par le criminel, signées «Jack l'Éventreur». Certaines de ces lettres mystérieuses, prétendument écrites par Jack, ont été envoyées à la Central News Agency, datée du 25 septembre 1888 et publiée dans O Primeiro de Janeiro le 7 octobre, nommée ‘Dear Boos’ ("Cher patron") écrite à l’encre rouge, elle est signée "Jack the Ripper" ("l’Éventreur"), mais on ne sait pas si c’est le tueur qui l’a écrite, et l'une d'elles était adressée à l'attention du président du Comité de vigilance de Whitechapel, M. Lusk, nommée «From Hell» accompagnée d’un foie qu’elle disait être de Catherine Eddowes, expliquant qu’il en a dévoré une partie. On peut y ajouter la carte postale "Saucy Jack" reçue par la Central News Agency. Une partie de la correspondance était présumée frauduleuse, la police connaissant apparemment l'origine des lettres, prétendument écrites par un journaliste dans le but d'augmenter les ventes du journal auquel il collaborait. Néanmoins, les lettres ont été traduites et publiées dans des journaux portugais. Les journaux de toute la ville ont adopté ce nom. On suppose également que les lettres auraient été fabriquées par la presse pour en vendre davantage. Environ 600 lettres et notes, prétendument signées de sa main, parvinrent aux journaux et aux commissariats de police au fur et à mesure de la tuerie. Le commissaire de police, Sir Charles Warren déclara le 10 octobre que les lettres "Saucy Jack" et "Dear Boss" n’étaient pas du tueur. Le 21 octobre 1888, Maria Coroner est accusée d'avoir fabriqué plusieurs «lettres de Jack l'Éventreur» affirmant que le meurtrier ferait sa prochaine victime à Bradford. 

 

Pendant le mois d'octobre 1888, les policiers fouillent les bistrots sordides, les dortoirs où s'entassent les miséreux, les bordels. Certains se déguisent même en prostituées pour servir d'appât. Ils distribuent des milliers de tracts et des appels à témoins. Ils interrogent plus de 2000 personnes et interpellent 76 bouchers. Mais aucune piste n'aboutit. Des chiens renifleurs ont été utilisés pour retrouver Jack grâce à l'odeur des victimes, malgré les avertissements des experts policiers quant à leur inefficacité. Des milliers de lettres arrivent par ailleurs à Scotland Yard ou dans les rédactions des principaux journaux. Certaines dénoncent un voisin, proposent les services d’un graphologue ou d’un médium, suggèrent un nouveau mode d’investigation. Cet investissement inédit témoigne de la vive émotion suscitée par les crimes, mais il dit aussi le désir croissant de participer aux affaires publiques. Le suffrage masculin est devenu général depuis la réforme électorale de 1884, et la démocratie progresse dans ce pays longtemps marqué par une très forte déférence sociale. Par la suite, le nombre d'articles sur le sujet a diminué, mais durant la seconde quinzaine de novembre, les trois derniers numéros cités ont renoué avec l'intérêt, au moment où la police a été attaquée de plus en plus dans la presse, ce qui a finalement conduit à la démission du chef de Scotland Yard, Sir Charles Warren, le 8 novembre, et  notamment après la mort de la cinquième victime, Mary Jeanette Kelly qui se disait originaire d'Irlande et du Pays de Galles avant son arrivée à Londres. Elle possédait un luxe que les autres n'avaient pas : une chambre avec un lit qui allait devenir la scène de son meurtre. La brutalité du crime, telle que les traits physiques de la victime étaient pratiquement méconnaissables, son corps et son visage sont tailladés de coups de couteau, le ventre est ouvert, ses organes ont été balancés dans la pièce, ses cuisses sont dépecées, ses seins et ses reins ont été déposés à côté d'elle, tandis que son cœur a été emporté, et le fait que le meurtre ait eu lieu au domicile de Mary Kelly, où elle est découverte par Thomas Boyer travaille pour le propriétaire d'un immeuble qui loue des chambres sordides, cela a fourni aux chroniqueurs de nouveaux éléments de publication. Le médecin légiste qui examine le corps de Mary Jane Kelly, la cinquième et dernière victime de Jack l'éventreur, se nomme Thomas Bond. C'est un homme d'expérience qui n'a jamais vu une chose pareille. Il va se lancer dans une description psychologique de Jack l'Éventreur. Sans le savoir, il invente ce jour-là la technique du profilage. Selon lui, Jack l'Éventreur est un homme ordinaire, un solitaire qui est pris de délires, de crises résultant de pulsions sexuelles incontrôlables. Il trouverait un plaisir sexuel dans ses agressions. Le 12 novembre, le Dr William Holt est libéré de la garde à vue, après avoir expliqué qu'il traquait le meurtrier en utilisant divers déguisements, et le 15 novembre, Wolf Levisohn est accosté par deux prostituées qui crient «Vous êtes Jack l'Éventreur !» après avoir refusé d'accepter leurs sollicitations. 

 

Qui était ce célèbre meurtrier de femmes ? On pourrait dire que le monde entier avait cette question sur les lèvres. Plusieurs suspects ont été envisagés pour cette affaire. La presse avait ses théories, et la reine Victoria elle-même s'est risquée à une hypothèse, soupçonnant que le tueur était un marin (Whitechapel se trouve près des docks de Londres). Des indices mal interprétés et un climat anti-immigré croissant ont même déclenché des actes antisémites de la part de personnes qui pensaient que le tueur était juif. Whitechapel était alors fortement peuplée d'immigrants juifs et russes. À l'époque, plus de deux mille personnes avaient été interrogées et 80 avaient été arrêtées, avant d'être relâchées faute de preuves parmi eux le réputé comédien Richard Mansfield est en vedette dans une pièce de théâtre inspirée de L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, les Indiens du Wild Wild West Show, un jeune étudiant en médecine, John Saunders qui devint fou et mourut dans un asile, John Pizer que la police identifia à «Tablier de cuir», un cordonnier vivant à Mulberry Street, William Henry Piggott qui a attiré l'attention sur lui en exprimant bruyamment sa «haine des femmes» alors qu'il se trouvait à la taverne Pope's Head, à Gravesendun, le boucher du nom de Joseph Issenschmidt, un apothicaire atteint d'un trouble psychique Oswald Puckeridge,, le colporteur itinérant Edward McKenna, Charles Ludwig, un coiffeur, la théorie de «Jill l'Éventreur», suggérée par Lord Sidney Osborne avance pour la première fois dans le Times qu'une femme jalouse pourrait être responsable des meurtres, John Fitzgerald qui après plusieurs jours de forte consommation d'alcool, qui a avoué le meurtre d'Annie Chapman, John Langan accusé par E.W. Bonham, de Boulogne, qui le porte à l'attention du ministère de l'Intérieur, son innocence a été vérifiée par la police le 16 octobre , un homme nommé Antoni Pricha qui ressemblait à la description de Hutchinson accusé par Edward Knight Larkins à la police le 13 novembre, le philanthrope Thomas Barnardo, Michael Ostrog, décrit comme un «médecin russe» et un condamné, était souvent interné dans un asile d’aliénés, un voyageur suédois nommé Nikaner Benelius, un locataire canadien à la fois religieux et fanatique G. Wentworth Bell Smith, Francis Tumblety, un homme notoirement anti-femmes qui a eu de nombreux démêlés avec la justice, est arrêté à Londres pour "indécence grossière", il se livrait probablement à l'homosexualité, ce qui était un crime en Angleterre à l'époque, soupçonné aux États-Unis de complicité dans l'assassinat de Lincoln et le meurtre d'un patient à Boston, il est arrêté en lien avec les meurtres de Whitechapel, et après avoir échappé à la caution fuit en France, puis embarque sur un paquebot à destination de New York, Montague John Druitt, un avocat de 31 ans, est retrouvé flottant sur la Tamise avec un billet de train pour le 1er décembre dans sa poche, comme c'était seulement quelques semaines après le meurtre de Mary Jane Kelly, il est considéré comme le principal suspect de l'éventreur, et Aaron Kosminski, un barbier juif que la police de la ville avait surveillé jour et nuit connu pour nourrir une haine violente envers les femmes, en particulier les prostituées, jusqu'à ce qu'il soit incarcéré dans un hôpital psychiatrique en 1890. La difficulté de découvrir le(s) auteur(s) des crimes a donné lieu à de nombreuses conjectures dans la presse portugaise de l’époque non seulement sur le(s) éventuel(s) meurtrier(s), mais aussi sur les raisons qui le/la conduiraient à commettre de telles atrocités, notamment avec les corps des victimes, soulevant l'hypothèse, malheureusement si courante aujourd'hui, du trafic d'organes. Sans oublier, un mendiant plus audacieux développa une tactique risquée : se faisant passer pour l'un des suspects, il extorqua des boissons gratuites aux propriétaires de bars. Arrêté, l'homme fut condamné à sept jours de travaux forcés.

 

Cependant, l'importance accordée aux crimes londoniens a diminué jusqu'à la fin de l'année 1888, si bien que les mois d'octobre et novembre correspondent à la période de plus grande couverture médiatique des meurtres de «Jack l'Éventreur». Cette plus grande attention durant ces mois est due à la quantité d'informations reçues, la plupart des crimes ayant été commis à cette période, le plus brutal ayant eu lieu le 9 novembre 1888. Il convient de souligner que ces informations ont été obtenues grâce à l'intervention de la police londonienne, au travers d'enquêtes, rapportées ultérieurement par les journaux, afin de diffuser les événements de la manière la plus détaillée possible. Moins glorieux est un penny qui était demandé sur Whitechapel Avenue pour ceux qui voulaient voir les répliques de cire des victimes. La cruauté de ces morts est restée vivace dans la mémoire collective.  Il est toutefois important de souligner que, durant les quatre derniers mois de 1888, les nouvelles concernant «Jack l'Éventreur» étaient fréquemment publiées sous le titre «Les Meurtres de Londres». Ce fait est lié non seulement au caractère sensationnaliste donné à l'événement - «crimes» – mais aussi avec la stratégie (hier comme aujourd’hui) très en vogue, de capter rapidement l’attention du public lecteur. Ainsi, au cours des quatre mois de couverture médiatique de l'affaire «Jack l'Éventreur», une critique ironique et cinglante de la population britannique, symbolisée par son stéréotype par excellence, ainsi que des actions inefficaces, voire ridicules, de la police londonienne (jusqu'alors très) respectable, ont émergé simultanément. Les périodiques portugais ont ainsi tenté, à travers les nouvelles, de révéler le côté le plus sombre et le plus sinistre de la société victorienne, en particulier les conditions de vie misérables dans les quartiers pauvres de la ville, en particulier Whitechapel, le lieu des crimes, qui a été décrit comme le quartier le plus misérable de Londres. Un autre  objectif plus ou moins explicite était de critiquer une Grande-Bretagne qui, à l'époque, apparaissait de plus en plus comme une puissance rivale, ambitieuse et arrogante notamment pour l’expansion coloniale en Afrique. Les journaux londoniens s'en sont emparés. Toute femme tuée dans la région était traitée par la presse comme une victime de Jack. L'intense médiatisation de l'affaire a provoqué des réactions encore plus étranges : d'autres criminels ont commencé à imiter le mode opératoire du tueur de Whitechapel. Les archives de police attestent d'une vague de fausses attaques fin 1888 et Rose Mylett est étranglée par un de ses clients. Deux autres femmes, Alice McKenzie et Frances Coles qui ont la gorge tranchée et des mutilations abdominales, ont probablement été tuées par des imitateurs, parmi eux James Thomas Sadler, accusé du meurtre de Frances Coles, sur lequel on mena une enquête sérieuse vu qu’on le suspecta d’être Jack l’éventreur. L'arrêt des décès n'a pas interrompu l'enquête. L'autre perspective de cette horrible affaire était plus sociale et politique, car les morts sanglantes de 1888 ont contribué à horrifier les parlementaires anglais de l'époque et à prendre conscience de la situation vécue dans certains quartiers de Londres, comme celui de Whitechapel. Passé de main en main, le dossier de l’affaire finira par être classé en 1892. Cela n’empêche pas la presse de donner des coupables comme William Henry Bury en 1889 pendu pour le meurtre de sa femme Ellen, et est la dernière personne à être exécutée à Dundee, en Écosse, Frederick Bailey Deeming en 1891 qui assassina sa femme et ses quatre enfants à Rainhill dans le Lancashire en 1891 qui fut pendu à Melbourne en 1892, Thomas Neill Cream en 1892, un médecin qui empoisonnait ses victimes avec de la strychnine et fut pendu, Thomas Hayne Cutbush en 1894, un étudiant en médecine, est soigné à l'infirmerie de Lambeth en 1891 pour des troubles de délire qui tenta de poignarder deux femmes, probablement causés par la syphilis, ce qui oblige, quelques années après les meurtres en 1894, le chef du département d’enquêtes criminelles de Scotland Yard, Melville Macnaghten, dresse une liste de trois suspects (dont Aaron Kosminski et Michael Ostrog). Le premier d’entre eux : Montague John Druitt, un avocat souffrant de troubles psychiques, retrouvé mort dans la Tamise après le dernier meurtre. Mais hormis la date de sa mort qui coïncide avec la fin des crimes, peu d’indices l’accusent. Ces affaires ont mis la lumière sur les conditions de vie insalubres, dangereuses et déplorables de certains quartiers populaires de Londres, Whitechapel évidemment, mais l’East End (donc les quartiers Est) en général. Une grande politique de salubrité a été mise en place, avec démolition des dortoirs les plus insalubres jusqu’au début du XXe siècle.  

 

Par la suite au XXe et XXIe siècle, les hypothèses se basèrent sur la vision des Londoniens de la fin du XIXe siècle dans de nombreux livres qui ont leur traductions portugaises pour certains et représentent trois groupes de personnes qui représentaient une menace pour les habitants locaux : la royauté, le «médecin fou» (ou le gentleman professionnel dément); et l’immigrant, généralement doté de tendances anarchiques ou socialistes. Peu à peu, on fera successivement de Jack l'Eventreur un docteur comme Robert D'Onston Stephenson, William Withey Gull, l'un des médecins de la reine Victoria, ou Sir John Williams, l'obstétricien de Béatrice du Royaume-Uni, l'une des filles de la reine Victoria, un étrangleur, un magicien, un dément comme James Kelly, un policier comme Melville Macnaghten, le logeur de Mary Jane Kelly, John McCarthy, un étranger comme Carl Ferdinand Feigenbaum, exécuté le 27 avril 1896 à New York, le juif polonais Joseph Silver, à la fois commerçant et marin, George Chapman, alias Severin Klosowski, barbier polonais, pendu en 1903 après avoir été convaincu d'avoir empoisonné ses trois épouses successives, ou encore le marin norvégien «Fogelma», un mystérieux chohet, boucher rituel juif, une femme comme la meurtrière, comme Mary Pearcey, la meurtrière Constance Kent, Elizabeth Halliday, une femme à l'allure masculine atteinte d'un trouble psychique arrêtée à New York en 1893 qui assassina ses deux derniers maris (dont les corps ont aussi été mutilés), un beau-fils et deux femmes, et la théosophe Helena Blavatsky, un membre de la famille royale, le duc de Clarence, des proches des victimes comme Joseph Barnett, plus fantaisistes comme le négociant de coton, James Maybrick ou sa femme Florence, James Kenneth Stephen, poète et tuteur du prince Albert Victor, un certain Francis Spurzheim Craig, journaliste de 51 ans couvrant les faits divers et la justice, Lewis Carroll a été, lui aussi, suspecté un temps, ou le peintre Walter Sickert, Montague John Druitt, ou encore un barbier juif de Whitechapel (suspect idéal : Aaron Kosminski, qu'un Anglais richissime du nom de Russell Edwards a cru récemment confondre à l'aide de son ADN, ayant acheté pour une somme faramineuse un châle censément attribué à l'une de ses victimes) et la fumeuse conspiration royale. Jack l'Éventreur continue à susciter une fascination macabre dans l'imagination populaire. Des suspects plus intéressants ont été trouvés depuis comme Hyam Hyams, fabricant de cigares, épileptique et alcoolique, David Kasminski, un juif polonais interné à l'asile de Colney Hatch à l'époque du dernier meurtre de Whitechapel, Robert Mann pensionnaire de l'hospice de Whitechapel qui travaillait à la morgue de Whitechapel, le boucher Jacob Levy atteint de la syphilis, l’ouvrier George Hutchinson, Charles Allen Lechmere, un charretier et livreur de viande, et le Dr. Francis J. Tumblety, 56 ans, un «charlatan» américain, qui fut arrêté en novembre 1888 pour des délits d’outrage à la décence. 

 

L’affaire impacta le système culturel portugais, la presse, les traductions de récits de fictions, où elle croise la route de Sherlock Holmes dans le pastiche de Sherlock Holmes Jack El Destripador sorti peu de temps après les meurtres, L’Ultime défi de Sherlock Holmes (1978), Duel en Enfer, Black Aura (1974) de John T. Sladek et Sherlock Holmes and the Royal Flush (1998) de Barrie Roberts, et Sherlock Holmes - La BD dont vous êtes le héros, tome 5 : L'ombre de Jack l'éventreur (2018), ou encore en jeu vidéo dans Sherlock Holmes contre Jack l'Éventreur (2009), et de l'Homme-éléphant dans Zou no Miru Yume de Downman Sayman (2013), et de Fu Manchu dans le 100e numéro de la série Master of Kung Fu (1981) de Marvel Comics, mais aussi les romans The Lodger (1913) de Marie Belloc Lowndes, The Mystery of Jack the Ripper (1929) de Leonard Matters, Yours Truly, Jack the Ripper (1943) de Robert Bloch, Jack l'éventreur (1966) de Tom A. Cullen, Jack the Ripper : The Final Solution (1976) de Stephen Knight adapté dans le film Meurtre par décret (1978) de Bob Clark, La dernière victime (2002) de Emmanuel Ménard, Whitechapel. La véritable histoire de Jack l'Éventreur (2013) de Michel Moatti, et Les Damnées de Whitechapel (2011) de Peter Watson, en bande dessinée comme Gotham au XIXe siècle (1989) de DC Comics adaptée en film d'animation en 2018, From Hell d’Alan Moore adapté au cinéma par Allen et Albert Hugues (2001), le manga Black Butler (2006), Van Helsing contre Jack l'éventreur, tome 1 : Tu as vu le Diable (2012), et tome 2 : La belle de Crécy (2015) de Jacques Lamontagne et Sinisa Radovic, Jack l'Éventreur, tome 1 : Les liens du sang (2012) de François Debois et tome 2 : Le protocole Hypnos (2013) de Jean-Charles Poupard, L'Homme de l'année, tome 13 : 1888 - Le véritable Jack l'éventreur (2018) de Céka et Benjamin Blasco-Martinez, et Mary Jane (2020) de Frank Le Gall et Damien Cuvillier..., la production d'œuvres écrites à l'origine en portugais comme le roman de Gervásio Lovato, sous le pseudonyme James Middleton, qu’il publia, en collaboration avec Jayme Victor, «Jack l'Éventreur» (1889), en cinq volumes, dans lequel Jack l’éventreur est une femme, et cette œuvre était assurément novatrice, car il s'agissait de la première appropriation artistique et littéraire des crimes commis à Londres l'année précédente, dans les représentations théâtrales comme la pièce de théâtre Pandora (1904) de Frank Wedekind  , Drôle de drame (1937), Ripper (1973) et Jack the Ripper (1974), les shows (The Jack the Ripper Show, 1973), au cinéma avec le Loulou (1929) de Papst, et dans le remake Lulu (1980) de Walerian Borowczyk, The Lodger (1927) de Alfred Hitchcock, The Lodger (1932) de Maurice Elvey, et adapté plus librement dans Jack l’éventreur (1944) de John Brahm, auxquels s’ajoutent Man in the Attic (1953) et The Lodger (2009), Jack l’éventreur (1959) de Robert S. Baker et Monty Berman, Sherlock Holmes contre Jack l'Eventreur (1965) de James Hill, La Fille de Jack l’éventreur (1971) de Peter Sasdy, Dr. Jekyll et Syster Hyder (1971) de Roy Ward Baker, Jack l’éventreur (1976) de Jesus Franco, Jack l’éventreur (1988) de David Wickes, The Ripper (1997) de Samuel West, et Retour à Jack l'éventreur : Sur les traces du tueur (2016) de Sebastian Niemann, la série Ripper Street (2012-2016) de Richard Warlow , et même dans les jeux vidéo avec Jack the Ripper (1987), Jack l’éventreur (2004), Assassin's Creed Syndicate : Jack l'Éventreur (2015), et Murder Detective : Jack the Ripper (2019). 

 

Toute une industrie s'est alors créée autour de cette affaire, avec des livres, des expositions et des visites des rues de Whitechapel, où les femmes ont été tuées. En 2015, de nombreux habitants de l'East End ont très mal vécu l'érection d'un musée entièrement consacré à l'œuvre de Jack l'Eventreur - en l'occurrence le massacre, à l'automne 1888, de cinq prostituées et le vol de certains de leurs organes. Surtout qu'à l'origine, l'homme derrière le projet, Mark Palmer-Edgecumbe, ancien chef de la diversité chez Google, avait promis qu'on érigerait là «le premier musée dédié aux femmes» du Royaume-Uni - ce qui devait théoriquement inclure l'histoire des premières suffragettes. Enfin, en janvier 2025, Russell Edwards, un détective privé britannique appelle la justice à rouvrir une enquête sur Jack l’Éventreur afin que son identité soit enfin déterminée avec certitude. Il est soutenu dans sa démarche par plusieurs familles de victimes et par les descendants d’Aaron Kosminski.

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m’ont beaucoup aidé : Maria João Mendes de Brito, “Jack, o Estripador” na imprensa diária portuguesa (1888), dans Revista de Estudos Anglo-Portugueses, Nº 18, 2009, p. 149-181, et Jack, o Estripador em Portugal, Chiado Books, 2017, Kate Clarke, M.W. Oldridge, Neil R.A. Bell et Trevor Bond, The A-Z of Victorian Crime, Amberley Publishing, 2016, et https://darkside.blog.br/crimes-vitorianos-macabros-curiosidades-sobre-jack-o-estripador/, Claudia BarBieri Massera, A Pena e o tipo : Gervásio Lovato  e a impresa portuguesa, dans Via Atlântica, n°34, 61-79, décembre 2018, Hallie Rubenhold, The Five: The Untold Lives of the Women Killed by Jack the Ripper,  Doubleday, 2019, et https://www.nationalgeographic.fr/histoire/vous-connaissez-jack-eventreur-voici-histoire-des-femmes-qu-il-a-tuees-angleterre, https://aventurasnahistoria.com.br/noticias/reportagem/historia-serial-killer-jack-o-estripador.phtml, https://pt-br.martincid.com/tv-shows-pt-br/qui-etait-jack-leventreur-episode-1-de-les-enquetes-extraordinaires-docuserie-sur-netflix/, https://whitechapeljack.com/whitechapel-murders-timeline/, https://www.casebook.org/timeline.html, https://www.jack-the-ripper.org/timeline.htm, https://www.liberation.fr/planete/2016/08/19/jack-l-eventreur-visceralement-misogyne_1473479/, https://www.nationalgeographic.fr/histoire/culture-generale-litterature-faust-alchimiste-qui-vendit-son-ame-au-diable, https://www.nationalgeographic.pt/historia/esta-sao-historias-mulheres-que-jack-estripador-assassinou_4176, https://www.nationalgeographic.com/history/history-magazine/article/jack-the-ripper-murders-mystery-history, https://www.parismatch.com/actu/faits-divers/jack-leventreur-enfin-identifie-les-familles-de-victime-demandent-un-nouveau-proces-245807, https://www.publico.pt/2007/08/31/jornal/no-passado-31-de-agosto-de-1888-228003, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/retour-a-whitechapel-8369447, https://www.rtl.fr/culture/culture-generale/jack-l-eventreur-le-tueur-psychopathe-jamais-identifie-7900512804, et https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/jack-l-eventreur-a-revele-les-angoisses-de-l-ere-victorienne_125209.  

 

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